Cour d’assises : Des peines proportionnelles aux actes

Ils usaient de méthodes peu orthodoxes pour détourner l’argent de leur structure. Ils ont fini par se retrouver devant les juges qui leur ont fait payer de leurs actes

Publié mardi 04 février 2025 à 07:40
Cour d’assises : Des peines proportionnelles aux actes

«Atteinte aux biens publics». C’est l’infraction dont M. Sissoko, Y. Traoré, A.M. Tall,  A. M. Touré, M. Sangaré et M. Coulibaly étaient suspectés. Ces individus ont comparu devant les juges lors de la session spéciale consacrée aux crimes économiques et financiers, tenue à la cour d’appel de Bamako. Ils étaient accusés de la disparition de plus de 540 millions de Fcfa, au préjudice de l’Agence pour l’aménagement et la gestion des zones industrielles (AZI), courant 2019, au moment où ils y étaient employés.

De l’acte d’accusation, il ressort que le 24 décembre 2019, l’Agence pour l’aménagement et la gestion des zones industrielles (AZI-SA), a saisi, par le biais de leur conseil, le procureur de la République près le Tribunal de grande instance de la Commune III du District de Bamako, chargé du pôle économique et financier, par une plainte formulée contre X pour «atteinte aux biens publics, soustraction de biens dans le secteur privé et abus de biens sociaux».

Dans cette plainte, il y était exposé que suivant un mandat en date du 25 juillet 2002, ayant fait l'objet de relecture le 20 février 2016, puis le 31 mai 2018, l’état du Mali, représenté par la direction nationale des domaines et du cadastre, a confié à l’AZI-SA, la mission exclusive de service public consistant à aménager toutes les zones à vocation industrielle en République du Mali, à y installer les industriels et à les gérer pour le compte de l'Etat.

A ce titre, I'AZI-SA proposait à ses clients des parcelles dans le lotissement de la zone industrielle de Dialakorobougou, site pilote du programme. Pour matérialiser les différentes ventes, des fiches de réservation et des promesses de vente étaient établies par l'Agence au profit de ses clients pour leur permettre d'honorer les coûts de viabilisation et le prix de cession des parcelles. Au début, les paiements se faisaient directement dans les comptes ouverts par l'AZI-SA auprès des établissements financiers de la place ou à la direction financière de l'Agence.

 

Aucune trace des reçus- Curieusement, à partir du 23 août 2009, des pratiques malsaines ont été instaurées et ont conduit des clients à effectuer les paiements en espèce auprès de la direction commerciale en se passant des services des banques et de la direction financière. Interrogés, ces clients avançaient qu'ils ont été approchés à cet effet par des agents de la direction commerciale de l’agence au motif que les comptes de la société font l'objet de saisie et qu'ils se chargeraient de reverser l'argent dans la comptabilité de l’agence, leur structure employeuse.

Les acteurs de cette pratique se sont arrangés à délivrer aux clients floués des faux reçus fabriqués avec l'entête de I'AZI SA. En effet, ces reçus n'avaient aucune trace à l'agence et ne correspondaient pas aux numéros de série. La somme des montants détournés s'élève à plus de 540 millions de Fcfa.

Les investigations immédiatement menées par la brigade du pôle économique et financier de Bamako ont permis de constater des atteintes multiformes aux biens et intérêts de la société AZI-SA, notamment dans la procédure de paiement au sein de la société par le non reversement total ou partiel des fonds que les clients effectuaient dans les caisses de l’agence en vue de l’acquisition de parcelles lui occasionnant ainsi un préjudice énorme estimé à plus d'un milliard de Fcfa. Toujours selon le dossier d’accusation, à l'issue du procès-verbal du 30 juin 2020 et par un réquisitoire introductif en date du 27 juillet 2020, le parquet du pôle économique et financier a ouvert une information judiciaire à l’encontre des nommés M. Sissoko, Y. Traoré  M. Coulibaly, A. M. Tall, A. M. Touré et M. Sangaré pour les infractions ci dessus citées.

Aussi bien devant le juge  d’instruction qu’à l’enquête préliminaire, la principale concernée dans cette affaire, Mme M. Sissoko est restée constante dans la dénégation des faits. Elle s’est défendue en expliquant que la création d’une caisse rattachée au service commercial par le PDG qui l’a précédé pour encaisser les paiements des clients est à la base de tous les problèmes rencontrés par la société. Puis, dans ses explications elle a chargé ces agents commerciaux en mettant les infractions sur leur dos.

L’accusée détailla que ce sont ces agents qui commettaient ces forfaits avec la bénédiction du PDG de l’agence qui, selon elle, entretenait des relations privilégiées avec eux, tout en permettant à ces derniers d’user de pratiques malsaines, en violation de toutes les procédures. Mme M. Sissoko poursuit dans sa logique de dénégation. Elle cite le nom de certains de ses complices, notamment M. Sangaré, M. Coulibaly et A. M. Touré, tous des agents commerciaux, comme étant ceux qui  établissaient à son insu des reçus parallèles à ceux fournis par le service comptable.

Ces explications de la principale accusée obligèrent le président de lui rappeler que le problème fondamental dans le dossier était le non renversement de la totalité des sommes perçues des clients à la comptabilité. En même temps, précise le magistrat, les reçus remis aux clients étaient différents de ceux reversés à la comptabilité. «Qu’est-ce que vous avez à dire ?», lui demande le président. Réponse de l’accusée: «J’étais payée à 1.500.000 Fcfa en tant que directrice commerciale et 3.000.000 Fcfa lorsque je suis devenue directrice générale, sans les primes de logement, d’électricité et autres. Je n’avais rien à envier à quelqu’un au point de rentrer dans des histoires de malversations», a-t-elle déclaré.

«Ne pensez-vous pas avoir votre part de responsabilité dans la disparition de plus de 540 millions de Fcfa reprochés à l’AZI-Mali», lui  demande le président ? «Le payement se faisait à la comptabilité. Ma part de responsabilité n’était qu’administrative’’, a-t-elle répondu. Et à un conseiller de lui rafraichir la mémoire en lui rappelant qu’elle était arrivée à l’AZI  dix ans après sa création.

Cependant les malversations n’avaient commencé qu’avec son arrivée dans la structure. C’était au tour du nommé Y. Traoré d’être entendu en sa qualité d’ancien PDG de la structure victime. Celui-ci a soutenu qu’à aucun moment il ne lui est venu en tête de poser le moindre acte au détriment de sa propre société, une société  qu’il a lui-même créée. Il s’est défendu n'être associé ni de près, ni de loin aux actes de détournements enregistrés au sein de celle-ci.

En ce qui concerne les irrégularités constatées à l'occasion de la cession des parcelles ainsi que l'établissement des fausses pièces visant à dissiper les paiements faits par les clients, l’ex PDG de l’AZI a soutenu que seule la directrice commerciale, Mme M. Sissoko était responsable, car, c'était elle qui avait la charge de surveiller les agents dans le cadre de leurs opérations, toutefois, cela ne relevait pas de ses attributions en tant que PDG de la structure.

 L’ancien PDG s’est défendu qu’à aucun moment, il n’a voulu s'interférer dans les domaines de compétence dévolue à ses agents qui, selon lui, ont tout simplement choisi de le trahir en lui faisant signer des actes irréguliers.

Le ministère public de s’adresser à lui en ces termes : «Vous avez ouvert la porte à la gabegie, de part votre légèreté parce que vous avez dit que c’est en étant à la retraite que vous avez appris les malversations au sein de l’AZI. En tant que Président directeur général, comment vous avez permis à la directrice commerciale d’ouvrir une caisse à son niveau alors qu’il y a la direction financière, lui a demandé le défenseur des citoyens ?

Réponse de l’ex PDG : «C’est parce qu’elle a avancé que les clients se plaignaient du fait que la direction financière se trouvait à l’étage». « Pourquoi n’avoir pas ouvert un bureau en bas pour le comptable ou ramener sa direction en bas ? à cette question, l’accusé a répondu par un silence. Ce qui amena un conseiller à se demander, s’il  n’avait pas laissé ses employés faire ce qu’ils voulaient, alors qu’il prétendait les avoir recrutés sur la base de la confiance.

Les juges étaient quasiment restés sur leur faim avec des réponses insatisfaisantes de la part de celui-là même qui était le premier responsable de la structure au moment des faits. Ainsi, ils ont fait passer tous les accusés à tour de rôle à la barre pour écouter et comprendre leurs versions des faits. Et chaque accusé s’est défendu en rejetant la responsabilité des faits sur Mme M. Sissoko, en sa qualité de directrice commerciale de la structure. ‘’J’ai toujours agi sous les ordres de la directrice commerciale qui était mon chef hiérarchique. Le paiement se faisait pendant 4 ans, mais après 3 mois sans versement mensuel d’un client, la parcelle était automatiquement saisie.

Normalement, la somme déjà versée devrait être remboursée, mais cela n’a jamais été le cas. Il arrivait des fois où une parcelle était vendue à 4 personnes sous l’autorité de la directrice commerciale’’, a détaillé une des accusés à la barre. Dans son réquisitoire, le parquet a demandé à la Cour d’infliger de lourdes peines aux accusés. Selon le ministère public, dans ce dossier ''les faits de détournements de dernier public sont constants et clairs. Comment les choses peuvent bien fonctionner au Mali avec de tels actes ? Je vous demande de prendre des décisions fermes afin que des leçons soient tirées de ces agissements par les accusés et pour d’autres personnes qui veulent tenter de tels actes'', a-t-il plaidé.

L’avocat de M. Sissoko  qui n’était pas de cet avis répliqua : ''Le ministère public se base sur quel texte pour demander d’infliger de telles sanctions à ma cliente, contre qui on n’a d’ailleurs pas de preuves'', s’étonne-t-il. Lorsqu’il a pris la parole, l’avocat de l’AZI-SA a réclamé 2 milliards de Fcfa aux accusés à titre de dommages et intérêts. Le contentieux de l’État était dans la même logique. Il a, lui aussi, réclamé le remboursement de la somme détournée par Mme M. Sissoko, soit plus de 540 millions de Fcfa. Il justifie sa demande en expliquant qu’à ce jour, l’AZI-SA fait face à plus de 200 procédures judiciaires.

La Cour a finalement reconnu Mme M. Sissoko coupable des faits. Ainsi, l'ancienne directrice commerciale a écopé de 5 ans de réclusion criminelle, avec le paiement  de 500.000 Fcfa d’amende. Quant à ses complices, (agents commerciaux) ils ont pris chacun 5 ans de prison avec sursis et sont astreints au paiement de 250.000 Fcfa d'amende chacun. Seuls le PDG et l’informaticien de la structure ont été acquittés. La Cour a, par ailleurs,  rejeté les demandes du contentieux de l’État et de l’avocat de l’AZI-SA. Par contre, la directrice commerciale et ses agents doivent payer plus de 540 millions de Fcfa qu’ils ont fait perdre à l'agence.

Tamba CAMARA

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