Moumouni Traoré : Le génial inventeur

Tirer le maximum du potentiel agro-sylvo-pastoral pourrait relever de la gageure au Mali. Mais ce concepteur de machines industrielles estime que l’expertise locale est en mesure de relever le challenge de la transformation agro-alimentaire

Publié mercredi 25 janvier 2023 à 07:05
Moumouni Traoré : Le génial inventeur

Le 24 novembre 2022, lors d’une cérémonie de remise de matériels à des femmes  spécialisées dans l’agro-industrie à Bamako, le ministre du Développement rural, Modibo Kéita et sa délégation vont à la rencontre d’un homme. Au centre de leur attention, un séchoir solaire «Made in Mali». Le ministre Kéita écoute religieusement l’exposé de Moumouni Traoré, le concepteur de la machine. Les performances de cet appareil sont impressionnantes. En effet, il est capable de sécher 350 kg de pulpe de mangue par jour et de leur faire atteindre une qualité de conservation d’au moins deux ans.

Tako Sylla, représentante des unités industrielles, ne cache pas son étonnement. «Depuis des années, nous nous donnons du mal pour trouver des machines à l’étranger ainsi que des techniciens pour les réparer en cas de panne. C’est un grand évènement que de savoir qu’on a un spécialiste malien à portée de main et établi sur place », commente-t-elle. 

Une semaine après, nous avons rendez-vous avec notre innovateur-concepteur à son atelier métallurgique à Magnambougou (Bamako). Look à la texane (stetson et bottes), Moumouni Traoré nous fait visiter ses installations. Dans l’atelier règne un vacarme assourdissant. On martèle, on découpe, on scie, on soude. Des machines déjà achevées attendent d’être enlevées.


D’autres sont en cours de fabrication. Le natif de Sikasso nous explique ce qui l’a amené dans un univers qui n’est pas celui de sa formation d’origine. « Dans notre pays, fait-il remarquer, 40 à 60% des productions fruitières, maraîchères ainsi que des produits issus de l’élevage (viande, lait) sont perdus chaque année pour plusieurs raisons. À commencer par l’étroitesse du marché intérieur. Tous les produits arrivent à maturité à la même période. Une fois les besoins de consommation satisfaits, l’absence de structures de conservation fait que le restant est jeté».

 Sans oublier, ajoute le sexagénaire, l’enclavement des zones de production, le mauvais état des routes, la faible disponibilité de moyens de transport pour acheminer les produits des zones de productions vers les zones de consommation. Tout ceci combiné entraine des pertes énormes pour les producteurs, déplore l’innovateur. Au moment où la mangue pourrit à Sikasso, le même fruit est vendu à Gao à 500 Fcfa l’unité. De même, à Baguinéda des tonnes de tomates entassées au bord de la route ne trouvent pas preneur, faute de technologie de transformation et de conservation.

Face à ces anomalies, notre interlocuteur énonce un credo très simple : «En tant qu’innovateur, nous avons donc décidé d’apporter notre contribution en mettant en place au niveau local des équipements faciles à fabriquer, à entretenir, à réparer en cas de panne et aisés à utiliser par les producteurs et les transformateurs», dit-il avec fierté, les yeux pleins de rêves.

 

40 ANS D’EXPÉRIENCES- Ce credo, Moumouni Traoré l’a forgé pendant 40 ans d’expériences diverses. économiste de profession, le thème de son mémoire a porté en 1984 sur «L’étude du marché des chauffe-eau solaires à Bamako». Ce qui l’amène à effectuer des enquêtes auprès des laboratoires. «C’est là que je me suis intéressé à la production des équipements», précise-t-il.

Par la suite, il devient un diplômé plein de rêves, mais sans emploi et avec un intérêt poussé sur le solaire. C’est alors qu’il était encore au chômage qu’il monte une société de séchage solaire à Yirimadio (Bamako) sans le moindre financement. Sa voie actuelle, il commence à la trouver en travaillant dans le milieu des ONG. Moumouni fera deux ans à Mopti dans l’installation des pompes solaires, des systèmes d’irrigation solaire et des puits dans plusieurs villages.

«Il n’est jamais à court d’inspiration. Il expose ses idées et moi, je me charge de leur donner une forme matérielle», nous dit Ousmane Cissé qui est le partenaire de Moumouni depuis dix ans. «Travailler avec lui, c’est relever en permanence des défis. Quand il débarque avec une nouvelle idée, on discute et souvent tu as même l’impression que c’est impossible, mais au final on y arrive », relate le métallurgiste.

La pratique du séchage solaire a toujours existé dans notre pays. Malheureusement, menée de manière primaire, elle est fortement aléatoire et agit négativement sur la qualité des produits. Or, les Maliens sont devenus de plus en plus exigeants vis-à-vis de ce qu’ils consomment. «Aujourd’hui, les femmes veulent des poivrons emballés, des piments et autres condiments de meilleure qualité. Elles sont sensibles à la différence qui existe entre le produit transformé et celui issu de la conservation traditionnelle», constate Moumouni Traoré.


L’homme dresse un autre constat. «Les Maliens, soutient notre innovateur, disent que les Maliens n’aiment pas que tout ce que les Maliens eux-mêmes produisent. Moi, je dis non. En réalité, le problème, c’est que tout ce que les Maliens produisent est trop cher pour les Maliens. Le sachet de mangue séchée coûte 500 Fcfa, voire plus, alors qu’il peut être vendu à 100 ou 150 Fcfa de Kayes à Kidal toute l’année. à condition que le séchage soit bien fait, et le coût de fabrication maîtrisé. Il faut encourager la consommation locale. Ce qui va se répercuter positivement sur la commande chez les équipementiers locaux et sur l’artisanat local qui se modernise à la longue», explique-t-il.

L’ENGOUEMENT POUR LA TECHNOLOGIE- Le fabriquant  ne s’interdit pas de rêver grand pour le pays. «Avec le bétail au nord, le poisson et le bétail au centre, les fruits et les légumes au sud, il y a suffisamment de ressources pour transformer, conserver et vendre les différents produits des zones excédentaires vers les zones déficitaires», analyse-t-il.

Ce qui renforce sa foi, c’est l’engouement de la jeunesse pour la technologie. «J’ai vu des jeunes produire des petits multiculteurs à partir des moteurs de moto Djakarta, s’enthousiasme-t-il, d’autres jeunes qui fabriquent des drones et récemment des Maliens ont remporté le premier prix d’une compétition de robotique aux États-Unis. Il y a juste dans notre pays un manque d’accompagnement des porteurs de projets. Nous avons des centres d’innovations et des services techniques qui malheureusement ne sont pas encore synchros avec les apprentis promoteurs».

Inutile de dire que Moumouni Traoré est, lui, un fervent adepte de l’innovation. Il fait remarquer que les ateliers de soudure et menuiseries métalliques ne sont utilisés que pour faire des portes et fenêtres alors qu’ils peuvent y ajouter la production de séchoirs solaires, de presses, de pasteurisateurs et bien plus. Il nous parle de ces ateliers qui se sont lancés avec succès dans la mouture des oignons séchés, condiment qui fait le bonheur des ménagères et qui est cédé à un prix très abordable.

Notre innovateur a autour de lui une jeune garde qui profite de ses conseils et de son expérience. Il regrette cependant que l’épineuse question du crédit bancaire représente souvent un obstacle rédhibitoire. 

 Moumouni Traoré dispense également des formations dans l’irrigation (aspersion, goutte à goutte, système californien) sur plus de 200 ha aménagés. Il a formé des centaines de personnes dans la culture fourragère, excellent aliment bétail utilisé à Mopti et Sikasso. Il initie le recours à des plantes dénommées Jean King Grass, venues des États-Unis et qui se renouvellent quatre semaines après avoir été fauchées. Pour Traoré, il faut amener les éleveurs à produire eux-mêmes leur fourrage pour nourrir les animaux.  

Infatigable, Moumouni Traoré répète sans cesse une profonde conviction : le développement local se construira à travers la valorisation de notre savoir-faire local.  

Oumar SANKARE

Lire aussi : Agriculture : Des équipements made in Mali

Semoirs, charrues de labour, pièces de rechange des tracteurs sont fabriqués par nos artisans. La plupart de ces équipements sont vendus dans les zones de production comme Kita, Sikasso, Bougouni ou Koutiala. Certains fabricants arrivent aussi à écouler leurs produits dans des pays voisins.

Lire aussi : Convention groupée de la zone 4 de la JCI Mali : Pour l’excellence et le leadership

Placée sous le thème : « Jeunesse engagée : apprendre et innover pour relever les défis de l’employabilité des jeunes du Mali », la 16ᵉ convention groupée de la zone 4 (Z4) de la Jeune Chambre Internationale (JCI) du Mali s’est tenue samedi dernier, au Centre de formation des collectiv.

Lire aussi : Solidarité : Plus qu’une aide matérielle, une consolation pour les sinistrés

Ils sont 512 déplacés provenant des régions les plus affectées par la crise sécuritaire à trouver refuge au Centre Mabilé, au cœur de la capitale malienne. Bien qu'insuffisant, le soutien des acteurs humanitaires locaux et internationaux réconforte ces sinistrés Situé en Commune VI du D.

Lire aussi : Économie verte : Une initiative lancée pour orienter les politiques et créer des d’emplois

5.000 emplois verts potentiels à identifier, trois propositions de politiques publiques à rédiger et un guide sectoriel à produire. Ce sont quelques objectifs phares du projet «Initiative pour promouvoir l’économie verte et la création d’emplois verts au Mali», officiellement lancé, mer.

Lire aussi : Mines de Lithium de Bougouni : Prêtes pour l’inauguration

Le constat a été fait par le ministre des Mines, Amadou Keïta, qui a visité les lieux la semaine dernière.

Lire aussi : PDZSTA-KB : Le budget prévisionnel du ptba 2025 s’élève à plus de 3,251 milliards de Fcfa

La 5è session du comité de pilotage du Programme de développement de la zone spéciale de transformation agro-industrielle des Régions de Koulikoro et péri-urbaine de Bamako (PDZSTA-KB) s’est tenue, hier, dans les locaux du ministère de l’Agriculture..

Les articles de l'auteur

Transformation de la peau : Imatan SA veut atteindre le stade du finissage

Cet établissement industriel de transformation de peaux des moutons et de chèvres, exporte 100% de ses produits, principalement vers des industries en Inde, Chine, Espagne et au Pakistan. L’entreprise qui enregistre une production mensuelle de 150.000 à 200.000 peaux, souhaite bénéficier de financements pour investir dans des équipements modernes afin de diversifier ses marchés.

Par Oumar SANKARE


Publié jeudi 28 août 2025 à 08:21

Hausse du prix du ciment : Le BTP En berne

Le sac de ciment de 50 kg est actuellement vendu entre 6.000 et 6.500 Fcfa à Bamako. En cause, la désorganisation du transport et l’interdiction des camions hors gabarit sur les routes nationales, d’après certains acteurs du secteur. Une situation qui rallonge, selon eux, les délais de livraison et augmente les coûts. En conséquence, des chantiers sont à l’arrêt. Et des ouvriers, techniciens et promoteurs immobiliers en chômage technique.

Par Oumar SANKARE


Publié jeudi 14 août 2025 à 11:45

Mali : Remise officielle de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation au Chef de l'Etat

Le projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation a été officiellement remis ce 22 juillet au Président de la Transition, le Général d’armée Assimi Goita, marquant une étape décisive dans le processus de paix au Mali..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 22 juillet 2025 à 21:24

Hippodrome : Qautre braqeurs désormais sous les verrous

Les éléments du commissariat de police du quartier Hippodrome en Commune II du District de Bamako, avec à leur tête le Commissaire divisionnaire Yamadou Goumané, ont récemment mis le grappin sur quatre individus. Il s’agit de H.K dit Amasékou (chef de gang), M.K, OK et M.Ko..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 15 juillet 2025 à 08:25

Fête nationale des États-Unis : L’ambassadeur Rachna Sachdeva Korohnen magnifie les bonnes relations entre Les peuples malien et américain

Le 4 juillet de chaque année, les Américains célèbrent les libertés fondamentales, la liberté d’expression et de culte, le droit de vote et bien d’autres..

Par Oumar SANKARE


Publié jeudi 10 juillet 2025 à 08:12

Théâtre : «Maa, i tè sabali, un appel à la responsabilité collective

Après la présentation du spectacle «Maa, i tè sabali» au Centre international de conférences de Bamako (CICB), c’était le tour du Complexe culturel BlonBa d’accueillir, le week-end dernier dans ses installations, le même spectacle..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 03 juin 2025 à 08:06

Championnat de basket-ball : Le CRBT entre dans l’histoire

48h après le sacre du Stade malien Dames face au Djoliba AC, battu 3-0, les Messieurs du Centre de référence de basket-ball de Tombouctou (CRBT) ont écrit une belle page de l’histoire du club, en remportant le titre de champion du Mali face au grand favori de la compétition, le Stade malien de Bamako..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 03 juin 2025 à 07:49

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner