Aguibou Bouaré : « Les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa portent atteinte aux droits socioéconomiques des populations »

Dans l’interview ci-dessous, le président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) donne des pistes de sortie de crise suite aux sanctions imposées à notre pays par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest africaine (Uemoa). Aguibou Bouaré livre également son analyse sur la situation sociopolitique du Mali et apporte des éclairages sur la contribution de la CNDH dans le projet de sa refondation

Publié mardi 24 mai 2022 à 05:38
Aguibou Bouaré : « Les sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa portent atteinte aux droits socioéconomiques des populations »

L’Essor : Quelle est votre lecture de la situation sociopolitique du Mali qui se trouve dans une Transition depuis un peu plus de 18 mois ?

Aguibou Bouaré : Effectivement, l’on ne devrait pas en être là, à ce jour, à discuter des questions de délai, à partir du moment où pendant les concertations nationales, une durée avait été convenue, laquelle aurait gagné à être adossée à un chronogramme précis fixant normalement toutes les activités à mener pendant la durée de 18 mois. Malheureusement, nous n’avons pas pu tenir cette échéance et avons été obligés de solliciter une prorogation.


Depuis, avec les partenaires régionaux et internationaux, l’on ne parvient pas à s’entendre autour de la nouvelle durée qui se présente comme un mirage et qui doit, je l’espère, normalement être basée sur un chronogramme cette fois-ci. Ce qui fait que la situation sociopolitique n’est pas rassurante; elle est marquée par l’incertitude sur beaucoup de plans; il y a des clivages entre différentes composantes de la société, en dépit du sentiment de peur; beaucoup de manifestations de rue sont organisées par rapport à la nouvelle direction à imprimer au pays, hors le cadre des élections, en termes de partenariat avec des puissances étrangères; des menaces pèsent sur certaines libertés individuelles et collectives.


Un certain nombre de partis ou regroupements politiques ne semblent pas d’accord avec  l’approche de prorogation de la durée de la Transition, en tout cas, réclament un processus consensuel pour les prises de décisions engageant la Nation. également, des organisations de la société civile et certains médias s’autocensurent par rapport à un certain nombre de questions essentielles.

Bref, on peut dire qu’une certaine tension existe au plan sociopolitique. Or, il est difficile de faire face aux questions de développement sans rassurer, sans apaiser le climat sociopolitique, sans une certaine cohésion sociale. Pour autant, sur le plan de la sécurité, l’on peut noter certaines avancées, en termes d’acquisition de matériels et d’équipements militaires. Des opérations militaires appréciées par les populations sont en cours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, qualifiées de montée en puissance des Forces armées maliennes (FAMa).


Même s’il est admis que la lutte contre le terrorisme ne s’apprécie pas exclusivement à l’aune des interventions militaires. Il y a d’autres aspects importants, notamment les questions de développement des zones infestées par le terrorisme. De plus, il faut noter les questions de chômage des jeunes vulnérables et devenant des proies faciles à l’enrôlement des groupes terroristes; le retour des services sociaux de base est une préoccupation majeure de même que la sécurisation pérenne des personnes et de leurs biens. Il convient d’adresser toutes ces problématiques afin de pouvoir espérer une lutte efficace, durable contre le terrorisme.  

 

L’Essor : Le Mali est sous sanctions de la Cedeao et de l’Uemoa depuis le 9 janvier dernier. Quelles sont vos recettes pour la sortie de crise ?  

Aguibou Bouaré : Nous avons toujours déploré ces sanctions que nous avons trouvées lourdes et préjudiciables aux populations. Ces sanctions portent atteinte aux droits socioéconomiques des populations (droits à la santé,  à l’alimentation...).


Par conséquent, nous ne pouvons les approuver même si les partenaires déclarent ne conditionner leur levée qu’à la production d’un chronogramme raisonnable de retour à l’ordre constitutionnel.  Soit dit en passant, ces sanctions font suite à une longue série de négociations et d’échanges infructueux entre notre pays et la Cedeao autour des garanties de retour à l’ordre constitutionnel normal dans un délai raisonnable.

En termes de propositions concrètes, nous avons toujours recommandé de renouer le dialogue constructif  avec les partenaires du Mali, singulièrement avec la Cedeao et l’Uemoa pour parer au plus pressé. Il s’agira de convenir d’une nouvelle durée de la Transition, mais cette fois-ci sur la base d’un chronogramme précis avec des échéances bien déterminées. Il n’y a pas d’autres alternatives à notre sens. Il n’existe pas de baguette magique pour le développement d’un pays; il est impossible de nos jours pour un pays de vivre en autarcie.

Deuxième aspect, il faut privilégier et récompenser le mérite et la compétence dans les nominations aux postes de responsabilité; lutter contre l’impunité et la mauvaise gouvernance. Il faut sortir de l’approche de diversité ou de gouvernement d’union nationale, perçue comme un partage de gâteau, eu égard à la profondeur de la crise multidimensionnelle que notre pays traverse, pour mettre en place un gouvernement de mission avec des technocrates qui n’ont pas d’ambitions politiques, et qui ne sont ni dans  des calculs électoralistes ni dans d’autres agendas cachés.


C’est une recette efficace qui peut nous aider, sans doute, à sortir du bourbier dans lequel nous sommes plongés. à partir de ces propositions à compléter certainement, je pense que l’on pourrait repartir sur de bases saines, amorcer un nouveau départ, rassurer les populations davantage, au delà des discours de meeting, pour faire face, dans la sérénité, aux questions de sécurité.

 

L’Essor : La refondation est un chantier important sur lequel travaillent les autorités de la Transition. Quel sera l’apport de la CNDH dans l’édification du Malikura? 

Aguibou Bouaré : La CNDH est constante dans sa mission de protection et de promotion des droits humains au service des populations civiles et militaires. L’on se méfie souvent des slogans politiques au contenu difficile à saisir. De toutes les façons, nous sommes convaincus qu’il ne saurait y avoir de développement, de restructuration, de réformes sans que les questions des droits de l’Homme ne soient au coeur des préoccupations de l’action gouvernementale.


Nous avons toujours clamé et défendu cette posture autour de l’état de droit,  de la sécurité juridique et judiciaire. Je pense qu’à un certain moment, le gouvernement en a pris note et l’a intégré. Il vous  souviendra que le respect et la promotion des droits humains étaient inscrits au rang des priorités de la feuille de route de la Transition. Nous espérons que cela va continuer, parce qu’il serait illusoire de vouloir réformer un état sans le faire dans le cadre de l’état de droit qui est une préoccupation essentielle.


L’État de droit n’est rien d’autre que la soumission de tous les citoyens à la loi, au règne de la loi avec son corolaire de respect des droits fondamentaux des populations, des citoyens, sans discrimination d’aucune sorte, sous la garantie d’une justice indépendante,  impartiale et équitable. Donc, notre combat tourne autour de cela. Notre apport consiste à veiller à la consolidation de la démocratie, de l’état de droit, du respect des droits humains, du retour à l’ordre constitutionnel normal; et faire en sorte que l’attention de l’état soit régulièrement appelée sur ces priorités.  

Enfin, je rappelle que nul n’est à l’abri de la violation de ses droits y compris ceux qui se croiraient puissants, intouchables à un certain moment de leur parcours. La sécurité juridique et judiciaire est la seule sécurité durable et pérenne; il suffit de se référer à l’histoire récente des soubresauts sociopolitiques de notre pays, pour se rendre à l’évidence que les victimes sont légion. Même si d’aucuns continuent de penser que cela n’arrive qu’aux autres, en attendant leur tour chez le coiffeur. La protection des droits de l’Homme est une responsabilité partagée.

Dieu préserve notre Patrie.

Propos recueillis par

Massa SIDIBÉ

 

Massa SIDIBE

Lire aussi : Fonctions publiques au Mali : Les agents non identifiés seront radiés des effectifs après le délai de grâce

Les agents qui ne se sont pas présentés lors des opérations d'identification biométrique ont un délai de grâce de trois mois, allant du 8 septembre au 8 décembre 2025 pour régulariser leur situation administrative.

Lire aussi : Incivisme : L’artiste Black M. interpelé

De son vrai nom, Alpha Diallo, le rappeur Franco-guinéen, connu sous le nom d'artiste « Black M », en séjour en Côte d'Ivoire et se trouvant dans une situation de conduite imprudente, a été interpellé..

Lire aussi : Insolite: Neymar désigné hériter d'un autre homme que son père

Nouvelle incroyable au Brésil concernant Neymar Jr. En effet, le footballeur a été désigné hériter d'un milliardaire en dollars autre que son père. Le testament a été rédigé à son nom..

Lire aussi : Goundam : Le geste philanthropique d’El Hadj Alphamoye Haîdara

Une habitante de la ville de Goundam a vu sa maison effondrer suite aux multiples érosions et intempéries survenues au cours de la saison d’hivernage..

Lire aussi : Kayes : EDM-SA rétablit l’électricité dans le secteur des logements sociaux

Après avoir passé trois nuits dans le noir, certaines familles des logements sociaux de Kayes et ses alentours ont enfin poussé un ouf de soulagement suite au rétablissement de l’électricité dans leur secteur. Rappelons que certaines concessions de la cité ATT Bougou (logements sociaux) et .

Lire aussi : Mopti : Plusieurs points à l’ordre du jour de la 2è session ordinaire du CROCSAD 2025

La salle de conférence du gouvernorat de Mopti a abrité du lundi au mardi dernier les travaux de la 2è session ordinaire du Comité régional d’orientation, de coordination et de suivi des actions de développement (Crocsad) de la région au titre de l’année 2025..

Les articles de l'auteur

An IV du Président Goïta au pouvoir : Des acquis pour des lendemains qui chantent

De son investiture, le 7 juin 2021, à nos jours, le président de la Transition, le Général d’armée Assimi Goïta, travaille d’arrache pied pour sécuriser et stabiliser le Mali. Et surtout, pour permettre au pays d’exercer la plénitude de sa souveraineté dans tous les domaines.

Par Massa SIDIBE


Publié lundi 09 juin 2025 à 09:02

Plan d'action du gouvernement : Le quitus du Conseil national de Transition

Le Conseil national de Transition ( CNT) a adopté ce lundi 19 mai dans la soirée au CICB le Plan d'action du gouvernement (PAG) pour la période 2025-2026 par 128 voix pour, 0 contre et 0 abstention..

Par Massa SIDIBE


Publié lundi 19 mai 2025 à 21:57

CNT : Présentation du Plan d'action du Gouvernement ce vendredi

C'est demain vendredi 16 mai que le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga présentera le Plan d'action du gouvernement (PAG) 2025-2026 devant le Conseil national de Transition (CNT) au CICB. La séquence des questions- réponses aura lieu le lundi 19 mai, précise la direction de la Communication du CNT..

Par Massa SIDIBE


Publié jeudi 15 mai 2025 à 11:51

Dr Fousseynou Ouattara : «Pour regarder l’avenir avec beaucoup de sérénité, il faut avoir une armée très forte»

Dans cette interview, le vice-président de la Commission Défense nationale, Sécurité et Protection civile du Conseil national de Transition (CNT) s’exprime sur le 64è anniversaire de la création de l’Armée malienne et les succès obtenus par celle-ci dans la lutte contre le terrorisme.

Par Massa SIDIBE


Publié mardi 21 janvier 2025 à 08:16

Semaine de la Justice : La 3è édition commence aujourd’hui

La 3è édition de la Semaine de la justice se déroulera du 13 au 18 janvier prochain à Bamako, Kayes et Mopti. L’annonce a été faite mercredi dernier lors du Conseil des ministres par le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, Mamoudou Kassogué..

Par Massa SIDIBE


Publié lundi 13 janvier 2025 à 07:44

Mamadou Oumar Sidibé : «L’année 2025 doit être celle du renouveau»

Dans cette interview, le président du Parti pour la restauration des valeurs du Mali (PRVM-Fasoko) revient sur quelques faits marquants de l’année qui s’achève et aborde les perspectives de 2025.

Par Massa SIDIBE


Publié mardi 31 décembre 2024 à 07:28

Projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale : Les 36 membres de la Commission de rédaction nommés

Par décret N° 2024-0763/PT-RM du 27 décembre 2024, le Président de la Transition, le Général d’armée Assimi Goïta, a nommé les membres de la Commission de rédaction du projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation nationale..

Par Massa SIDIBE


Publié lundi 30 décembre 2024 à 07:50

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner