Le
discours haineux est un propos injurieux qui provoque la colère, le désamour,
le dégoût. Il vise un individu ou un groupe sur la base de caractéristiques
intrinsèques telles que le genre, la religion, la race, l’état physique d’un
humain et peut menacer la paix sociale. Aujourd’hui, la société est confrontée
à ces genres de discours haineux dans la vie courante et qui deviennent, encore
plus venimeux sur la toile, grâce à l’avènement des réseaux sociaux.
La
haine est un mal qui ronge celui qui l’exprime et peut tuer ou inciter à la
violence à tout moment. Elle doit être combattue afin d’éviter l’embrasement et
l’effritement de la société. L’artiste Djénéba Seck, dans un de ses tubes, chantait
: «A tɛ kɔrɔ, kumakan jugu tɛ kɔrɔ» (littéralement en français : les
propos vexatoires ne vieillissent jamais !). Autrement dit, on les oublie
difficilement. Elle sensibilise de ce fait la société sur les ravages que
peuvent causer les propos haineux.
Kalifa
Kéita est diplômé des lettres modernes, sorti de la Faculté des lettres, des
langues et des sciences du langage (FLSL) de Bamako. Confronté à une situation
de handicap survenu à l’âge avancé, il explique qu’il est témoin au quotidien
de ce comportement répugnant. Selon lui, ces discours haineux sont prononcés
couramment dans la circulation à cause du comportement inapproprié de certains
usagers. Ce qui rend difficile la cohabitation entre les gens et exacerbe les
relations.
Le
jeune diplômé, aussi membre d’une association de personnes en situation de
handicap, raconte volontiers la désillusion d’une de ses camarades dans son
foyer. Cette dernière est réprimandée par sa «belle mère d’être sale et
incapable de préparer de la nourriture». La belle mère ne s’arrête pas là, elle
se «demande parfois comment son fils arrive à se coucher avec une femme qui ne
marche pas», rapporte Kalifa Kéita qui affirme que plusieurs femmes en
situation de handicap font l’objet de railleries dans leurs foyers conjugaux.
Salma,
nom d’emprunt d’une mère de famille en Commune IV du District de Bamako, vit
cette triste réalité. Un matin du mois de juillet dernier, elle est prise pour
cible par son beau frère qui l’a insultée grossièrement. Pour cause, Salma n’a
pas pu accomplir un travail la veille. Rencontrée, elle avoue qu’au-delà du
courroux, le discours haineux donne des idées noires à celui qui le subit. Il
est inoubliable pour ce dernier et l’amène à détester celui qui l’a tenu.
Elle
raconte cela, très irritée contre son beau frère qui lui jette des injures
graves chaque fois qu’il y a une mésentente entre eux. Ces agressions verbales,
choquantes, humiliantes et avilissantes sont intolérables pour elle. À l’en
croire, mieux vaut être frappé que d’être visé par des propos vexatoires
«kumakan juguw». Cette mère de famille fait savoir que c’est la pauvreté,
l’égoïsme, l’hypocrisie et l’orgueil qui font que les gens se détestent. «Nous
devons nous aimer les uns les autres pour éviter l’effritement de la société»,
conseille-t-elle.
PROMOUVOIR
LA CULTURE- Pour l’entente nationale, la lutte contre le discours haineux est
très cruciale aujourd’hui. Il faut commencer par les petits discours qu’on
tient dans les familles, les « grin», lors des rencontres, propose Lawale Chaka Keita. Journaliste et
écrivain, il laisse entendre que mêmes certains propos humoristiques, attribués
à des communautés et à des groupes ethniques, construisent des préjugés, des
clichés négatifs. Ils (propos) finissent par entretenir la haine chez ces gens qui
les considèrent inconsciemment comme des acquis.
Par
exemple, s’explique le journaliste, «on entend dire souvent que les gens de
telle ou telle ethnie sont avares ou sont des esclaves. Ce sont des petits
discours certes taquins dans le fond, mais qui peuvent exacerber les relations
entre les personnes. Dans le pire des cas, quand ces propos sont accompagnés
d’injures, de brimades et d’humiliations, ça devient une bombe sociale à
retardement».
Selon
notre interlocuteur, certaines personnes profitent du cousinage à plaisanterie
«instaurée» par nos ancêtres entre des groupes ethniques pour dénigrer l’autre
dans une rage manifeste de nuire ou d’humilier. Alors que chacun doit chercher
à renforcer les liens entre les personnes, multiplier les contacts en allant
vers l’autre. Et pour cela, les évènements artistiques et culturels tels que
les biennales et autres qui rassemblent sont une aubaine qu’on doit entretenir
car ils recèlent de forts motifs de brassages et de ce fait sont plus utiles
que les réseaux sociaux.
Tout
citoyen mérite le respect. Toute action qui peut contribuer à ébranler ce
principe doit être banni dans la cité. Le directeur général (DG) de l’École
supérieure de journalisme et des sciences de la communication (ESJSC) de
Bamako, Dr Aboubacar Abdoulwahidou Maïga, pense que ce genre de discours porte
atteinte à la dignité des gens. En temps de crise comme c’est le cas
actuellement dans notre pays, on ne doit pas se permettre de proférer des
discours de haine. «Nous sommes une société de paix, de dialogue, de solidarité
et de sympathie.
Nous sommes empathiques les uns envers les autres,
compatissants quant d’il y a une douleur chez quelqu’un», fait savoir
l’enseignant-chercheur. Grâce au cousinage à plaisanterie, lorsqu’on veut dire
quelque chose de blessant, on le fait de façon courtoise et amicale de telle
sorte que la personne concernée ne se sente pas offusquée, ni humiliée. «Dans
notre cas actuel, nous devons faire attention, car nous sommes un peuple soudé
et fragile à la fois. Lorsque quelqu’un se sent vexé à tort, cela peut attiser
la mésentente et créer de la dissension.
La haine et la division ethnique ont
été entretenues et savamment distillées entre les communautés qui jadis
cohabitent depuis des millénaires en bonne intelligence. À plusieurs reprises,
le pays a frôlé l’embrasement ethnique n’eussent été les ressorts du cousinage
à plaisanterie qui ont permis d’apaiser la tension», explique Dr Aboubacar
Abdoulwahidou Maïga.
RENFORCER
L’ÉDUCATION- Le DG de l’ESJSC insiste sur le renforcement de l’éducation
surtout pour les enfants qui sont laissés pour compte au téléphone et sur les
réseaux sociaux. Les parents doivent être plus présents à leurs côtés,
conseille-t-il. Avant de compléter que le concept d’une nation, c’est quand les
gens ont accepté de se mettre ensemble et de travailler pour le même but et
intérêt comme notre devise le stipule «Un Peuple, Un But, Une Foi». Pour lui,
les discours qui se tiennent doivent favoriser la communion, l’entente et le
vivre ensemble.
Les universitaires ont la mission d’analyser l’histoire, de
l’expliquer en mettant en exergue les valeurs intrinsèques qui constituent le
fondement de la nation qu’on représente et conduire le peuple sur la bonne
voie. Car les paroles haineuses peuvent heurter la sensibilité humaine,
affecter le moral des victimes et provoquer des blessures psychologiques qui
vont avoir du mal à être cicatrisées, soutient l’universitaire.
Dr
Fodié Tandjigora, sociologue à la Faculté des sciences humaines et des sciences
de l’éducation (FSHSE), rappelle que les discours de haine relèvent de
l’inimitié, de la méchanceté, de la revanche et procèdent de la malveillance à
nuire à autrui. Cette haine peut inciter à la vengeance. Elle peut jaillir à la
suite aussi bien d’un discours politique, religieux que ordinaire et peut
provoquer la dislocation du tissu social. Pour lutter contre ces propos
inappropriés, les leaders d’opinion à savoir les politiques, les religieux et
les activistes sur les réseaux sociaux doivent donner l’exemple. Nous assistons
malheureusement sur les réseaux, à l’apologie de la haine à travers les
règlements de compte, les appels à la haine et à la vengeance. Les jeunes qui
sont les adeptes invétérés de ces supports risquent de gober ces faits.
La loi sur la cybercriminalité est déjà un grand pas pour mettre le holà à ces pratiques malsaines. Tout comme le directeur général de l’ESJSC, l’enseignant-chercheur en sociologie prône aussi l’éducation des enfants et les invite à tenir des langages qui font la promotion de la cohésion sociale. Les réseaux sociaux ont ouvert un nouvel espace d’expression virtuelle et c’est sur ce boulevard que les gens se défoulent pour solder leurs comptes, ce qui est vraiment dommage, regrette le sociologue.
N'Famoro KEITA
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