
L’Essor : Qu'est ce que la lenteur judiciaire ? Et comment
se manifeste-t-elle ?
Idrissa Hamidou Touré : La lenteur judiciaire, c’est le
manque de célérité dans le traitement des affaires. C’est un dysfonctionnement
préjudiciable à la bonne perception que doit avoir le justiciable de la décision
de justice.
L’Essor : Quelles sont les causes de la lenteur de la
justice ?
Idrissa Hamidou Touré : On parle de l’incompétence lorsqu’un
agent de la chaine judicaire est négligeant dans le traitement d’un dossier ou
lorsqu’il produit un dossier avec des nullités ou omet de solliciter l’avis
d’un expert en cas de besoin.
Cela met en péril l’issue de la procédure et
l’efficacité de la décision à rendre. L’efficacité d’une décision de justice
est largement tributaire des qualités professionnelles de l’agent qui l’a
rendue.
La compétence professionnelle des praticiens de justice tient au
respect d’un ensemble d’éléments : d’abord, le respect de l’éthique et de la déontologie.
Aussi, des attitudes inappropriées du genre : afficher des signes d’ennui ; de
nonchalance, d’impatience voire d’irritabilité, peuvent entamer la qualité des
procédures voire la confiance des parties en l’appareil judiciaire.
Par
exemple, une victime ou même un témoin qui manque de confiance pourrait être en
mesure de faire une description détaillée de ce qui s’est passé, dans un
environnement émotionnellement favorable, mais pourrait être embarrassé ou se
renfermer s’il a l’impression d’être exposé à la vue du public ou attaqué.
Ensuite, le respect des règles de procédure telle que le
principe du délai raisonnable. Il s’agit là d’une vertu qui n’est pas que
personnelle mais qui engage collectivement la justice. La garantie du délai
raisonnable commence à courir dès la naissance de la procédure, donc à partir
des enquêtes préliminaires, par exemple, jusqu’à l’exécution de la décision par
l’huissier de justice.
La diligence n’est pas la rapidité ou la précipitation,
lesquelles peuvent être source d’erreurs mais bien la nécessaire conscience
chez l’agent de justice que sa décision est attendue et que sa négligence ou
son laxisme dans le traitement des affaires peut avoir des répercussions négatives
pour les parties et pour l’ordre public.
Enfin, il y a le manque de moyens
(humains et matériels). Nous sommes 532 magistrats sur lesquels beaucoup ne
sont plus dans la distribution de la justice pour plus de 20 millions
d’habitants.
L’Essor : Quelles sont les formes de la lenteur de la
justice ?
Idrissa Hamidou Touré : Elle revêt plusieurs formes, qui
vont des enquêtes policières enlisées, des erreurs de procédures, des dossiers
jamais réglés à temps aussi bien par les parquets que par les cabinets
d’instruction. Mais également des dessaisissements de procédures motivés par
des questions de personne, des renvois successifs et autres sine die, des cédules
de citation irrégulièrement formalisées, ou qui ne le sont jamais parce que les
honoraires des huissiers ne sont pas payés par l’État de sorte qu’eux aussi
s’abstiennent de dépenser encore.
S’y ajoutent des rabats de délibérés
injustifiés et autres délibérés prorogés, la rédaction tardive des factums par
les juges, le manque de ponctualité du magistrat pour l’examen des causes
soumises à son office. Or, la longueur du temps obscurcit la clarté des décisions
de justice.
L’Essor : Que répondez-vous à ceux qui trouvent qu’il y
a trop de mandats de dépôt actuellement et que les gens ne sortent pas de
prison ?
Idrissa Hamidou Touré
: Il faut souligner que le taux de délinquance a explosé et que tout le monde a
démissionné, laissant la régulation sociale à la seule justice. On n’a donc que
le choix de réprimer. Comme disait Montesquieu : «on examine la cause de
tous les relâchements, on verra qu’elle vient de l’impunité des crimes et non
pas de la modération des peines». L’impunité avait trop droit de cité dans ce
pays, il fallait la combattre et on est en train de gagner ce combat aussi bien
dans le monde physique que dans le monde virtuel.
Par exemple aujourd’hui en
Commune IV, il n’y a plus ou presque de spéculateurs fonciers. Ces délinquants
qui pouvaient en toute impunité, morceler même votre titre foncier et le vendre
ou vendre un seul terrain à deux, trois personnes. Ils sont pour la plupart en
prison et ceux qui n’ont pas été retrouvés, ont fui le pays. Depuis, les gens
sont tranquilles par ici. Dans le monde virtuel, les injures grossières de père
et de mère à visage découvert sur le territoire national, c’est du passé.
Il ne reste plus que ceux qui sont à l’extérieur. Contre la
plupart, il y a des mandats d’arrêts au niveau d’Interpol. Seulement, il se
trouve que tant que la personne ne se présente pas dans un aéroport en vue de
voyager ou qu’elle ne fait pas l’objet d’un contrôle de police, elle n’est pas
interpellée car les agents ont tellement de choses à faire qu’ils ne vont pas
les chercher.
C’est souvent à la suite d’un banal contrôle de police qu’ils se
rendent compte qu’il y a un mandat et alors ils arrêtent la personne.
L’avantage est que dès qu’un mandat est envoyé à Interpol, la personne visée
est tout de suite inscrite au tableau des antécédents judiciaires (TAJ) de
sorte que dès qu’elle est contrôlée par la police quelque part, tout de suite
elle est arrêtée.
Donc on n’est nullement pressé concernant ces gens. Tôt ou
tard ils seront arrêtés et renvoyés au pays. Aussi, ce que les gens ne disent
pas à propos de la surpopulation carcérale, si la Maison centrale d’arrêt de
Bamako (MCA) a été construite pour recevoir 400 personnes, c’est parce qu’à
cette époque, ce n’était pas le même nombre d’habitants qu’il y a aujourd’hui
dans la capitale.
La population a explosé. Or, plus il y a du monde dans une
ville, plus le taux de délinquance grimpe. Malgré tout, les magistrats, qui
sont largement en nombre insuffisant, font de leur mieux. Par exemple, ici en
Commune IV, de janvier 2022 à maintenant, on est à près de 800 mandats pour le
parquet sur lesquels près de 700 ont été jugés, plus de 140 ont été relaxés,
200 ont été transférés de la MCA vers la prison de Kenièroba, les autres (plus
de 200) ont purgé leurs peines et sont sortis de prison.
À ce jour, on n’a que 85 qui purgent leurs peines et un peu
plus de 100 qui attendent leurs jugements. Pour vous dire que les gens sont jugés,
ils sortent mais malheureusement puisqu’il n’y a pas de mesures
d’accompagnement ou de réinsertion sociale, beaucoup reviennent en moins de
deux mois parfois. Et si vous regardez les statistiques au niveau de la MCA,
vous verrez que plus de 70% sont des cas de vol. Il n’y a malheureusement pas
d’alternative au mandat pour un voleur chez nous.
Pour le reste, il ne faut pas perdre de vue que nous sommes
une société qui punit les écarts de conduite. Quand une personne commet une
faute, elle n’est pardonnée qu’après avoir été sanctionnée. Ailleurs, ce n’est
pas ainsi. Chaque société a ses réalités culturelles. Sinon de façon générale,
la justice pénale africaine est plus efficace que la justice pénale
occidentale.
Après, ils peuvent dire que l’on marche quelque peu sur les
principes mais là aussi c’est une question de vue de l’esprit. Au moins, il ne
peut y avoir 20 à 30 plaintes contre une seule personne sans réaction
judiciaire. Cela est impossible au Mali. Ce qui est bien pourtant le cas dans
certains systèmes judiciaires dits respectueux des droits et libertés
individuels. La justice est largement tributaire des réalités
socio-culturelles.
L’Essor : Comment combattre la lenteur de la justice ?
Idrissa Hamidou Touré : Le désordre de la justice,
disait Montaigne, vient de ce que toutes choses sont vénales, du nombre des
officiers qu’on y met mais surtout du mauvais ordre qu’on a de les choisir. Le
juge a entre ses mains la liberté, l’honneur de ses concitoyens. Cela fonde les
exigences légitimes que l’on peut avoir à son égard, lesquelles interpellent dès
lors le comment recruter les hommes.
Un recrutement judicieux prévient et
traite déjà en amont les éventuels manquements aux devoirs du magistrat.
Ensuite pour mieux assurer les gens sur leurs responsabilités, il faut bien les
former. Chateaubriand écrivait que la médiocrité est assez souvent secondée par
des circonstances qui donnent à ses desseins un air de profondeur.
Au regard, souvent de la résistance des faits, de la
fragilité des preuves et de la forclusion de la vérité, le juste équilibre de
la balance, exige du juge des capacités intellectuelles élevées pour paraitre
juste et équitable tant aux yeux du gagnant que du perdant d’un procès. Le
magistrat doit convaincre de l’égalité et de son équité, non par la force du
principe d’autorité mais par les arguments de la raison juridique accompagnés
de la solidité de ses qualités professionnelles.
La Fontaine n’a-t-il pas dit
que «d’un magistrat ignorant, c’est la robe qu’on salue». Pour que la robe
abrite un magistrat respecté des justiciables et libre dans ses jugements, il
faut qu’il ait une bonne connaissance des matières qu’il traite.
Aussi il faut bien
les évaluer. Ce sont en effet des insuffisances professionnelles involontaires
du genre : incapacité à décider, à utiliser ses connaissances juridiques, à
s’organiser dans son activité, à faire face à une masse importante de travail
qui soulèvent en réalité des difficultés. On n’est pas revêtu du statut de
magistrat pour plaire aux hommes mais bien pour les servir, parfois contre leur
gré, contre leur volonté.
Enfin il faut adapter les missions des structures de contrôle
aux exigences de l’air du temps. Ce qui implique surtout de déterminer les critères
de compétence, d’expérience et de moralité dans la sélection et la nomination
des agents qui y servent.
Parce qu’aujourd’hui, l’autre véritable souci, c’est
la question de qui est légitime à porter la critique à qui d’un point de vue de
bonnes pratiques professionnelles. Une dernière chose, c’est de promouvoir le mérite,
d’encourager et féliciter les bonnes actions et sanctionner les fautes. C’est à
ce prix que l’on construira le Mali Kura.
L’Essor : Jugez-vous satisfaisant le bilan du Tribunal
de la Commune IV dans le domaine de la lutte contre l’impunité ?
Idrissa Hamidou Touré : Je pense sans démagogie que
dans ce domaine, la plupart des résultats obtenus, sont imputables au TGI de la
Commune IV. Et là je parle de tous les agents, depuis l’enquête préliminaire
jusqu’à l’exécution des décisions, chacun a joué son rôle.
C’est ce qu’il nous
a été demandé et je ne crois pas que les autorités judiciaires soient
insatisfaites de cela à en juger par les propos du Garde des Sceaux. En tant
que juridiction de droit commun, on est engagé que dans la lutte contre
l’impunité. La lutte contre la délinquance économique et financière, celle
contre le terrorisme relèvent d’autres entités judiciaires qui œuvrent à
obtenir aussi des résultats.
Propos recueillis par
Aboubacar TRAORÉ
Aboubacar TRAORE
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