Mali-Cedeao : Comment relancer les négociations ?

Deux spécialistes des relations internationales font des propositions dans les entretiens qui suivent. Les deux universitaires estiment qu’il est bel et bien possible de sortir de l’impasse des sanctions et de parvenir à un compromis

Publié mardi 11 janvier 2022 à 07:08
Mali-Cedeao : Comment relancer les négociations ?

Ballan Diakité, politologue-chercheur : «Les deux parties doivent sortir de leur positionnement initial»


Ces sanctions tombent à un moment difficile dans l’histoire du Mali. C’est quand même malheureux de voir un pays fondateur de la Cedeao être à couteaux tirés avec cette organisation sous-régionale. Avant de chercher à savoir comment sortir de ces sanctions, il est important d’abord de les analyser. À mon avis, il y a une sorte de crise de paradigme entre les autorités maliennes et la Cedeao. Parce que d’un point de vue national, on a effectivement connu plusieurs élections qui ont abouti à la mise en place des présidents légitimement élus. Par la suite, ces élections n’ont pas pu apporter la stabilité au Mali. Aujourd’hui, la première préoccupation des autorités de la Transition est de savoir comment permettre au Mali d’avoir une stabilité institutionnelle et politique. Pour ces autorités, cela ne passe pas, in fine, par des élections. Alors que pour la Cedeao, il faut nécessairement aller directement aux élections. Il y a un problème de paradigme entre les deux parties qui fait qu’aujourd’hui la compréhension n’est pas du tout au rendez-vous.



Maintenant comment sortir effectivement de l’impasse ? Il n’y a pas dix mille façons. Il faut s’asseoir, discuter et continuer à discuter, ne pas rompre effectivement la discussion. Il faut toujours continuer à négocier jusqu’à ce que les deux parties puissent trouver un terrain d’entente. Le danger, ce serait de couper toute possibilité de discussions entre les deux parties. Là, aucune solution ne serait possible dans ce cas de figure, alors qu’aujourd’hui malheureusement nous sommes en train d’aller vers cela. La Cedeao a imposé des sanctions, le Mali est sorti avec un principe de réciprocité qui consiste également à fermer ses frontières. Donc, on peut dire qu’il y a une rupture de discussions entre les deux parties. Et, à mon avis, c’est ça le grand danger. Il ne faut pas rompre la discussion.

Les chances pour la négociation seraient pour les deux parties de sortir de leur positionnement initial. Vous savez, lorsqu’on veut faire avancer les choses, il faut que des deux côtés, on essaye de faire des concessions. Et que le Mali accepte effectivement de revoir le délai de cinq ans. Parce qu’une Transition de cinq ans, franchement, c’est trop long. Aujourd’hui raisonnablement, on peut dire qu’au regard des difficultés ou des défis auxquels le Mali est confronté, une transition de dix huit mois est très peu. Parce qu’on a vu effectivement les crises de démocratie, de confiance, sécuritaire, humanitaire.



Le Mali est frappé par plusieurs crises, raison pour laquelle on parle d’une crise multidimensionnelle. Au regard de ces défis, il faut proroger la Transition pour permettre aux autorités actuelles d’assainir les terrains sécuritaire et politique pour préparer en fait les Maliens à une élection potable, crédible et sereine. Ces conditions ne sont pas réunies aujourd’hui. Raison pour laquelle il faut proroger la transition ne serait-ce que pour une année ou pour deux ans pour permettre que des conditions sécuritaires puissent être réunies pour aller à des élections véritables. Cela, de mon point de vue, est important et ne peut se faire qu’avec une prorogation de la transition. C’est évident.



Mais une transition de cinq ans est quand même trop parce que ce n’est pas sans risque. N’oublions pas que la prorogation de la transition s’accompagne, dans la plupart du temps, d’une réduction des libertés publiques et individuelles. À ce niveau, le risque de tomber dans une sorte de dérive autoritaire ou de régime militaire qui ne dit pas son nom est fondamental. Donc, comment faire pour permettre aux autorités de la transition de préparer le terrain, de faire en sorte que la sécurité soit au top sans pour autant que les libertés individuelles et collectives des citoyens ne soient bafouées ?  

Je pense que tout se joue dans un délai de timing et de volonté politique. La volonté politique est là pour redonner aux Maliens leur souveraineté. Maintenant, ce qu’il faut en plus de cette volonté politique, c’est le temps. Donc, accordons du temps à ces autorités pour effectivement finaliser le travail qu’ils ont commencé. Pour moi, un délai d’un ou deux ans supplémentaires est largement suffisant.



Du côté de la Cedeao, il faudrait que l’on comprenne les difficultés que le Mali traverse. Et les plus grandes victimes de cette situation ne sont pas ceux qui gouvernent. Ce sont les populations civiles. Et la Cedeao est une organisation des peuples. En temps normal, le souci premier de la Cedeao doit être justement de permettre effectivement au peuple malien de pouvoir vivre cette période de Transition dans la quiétude, sans pression et sans pour autant tomber dans une situation sécuritaire et humanitaire difficile.



Pourtant avec ces sanctions, c’est ce qui est préparé pour le peuple. Comment faire pour que la Cedeao puisse prendre cet élément humanitaire en compte dans la prise de ses décisions, de ses sanctions et amener également les autorités maliennes à revoir effectivement à la baisse la durée de la transition pour que les positions puissent se rapprocher ? Je pense que si on arrive à faire ce travail de concession des deux côtés, ils peuvent retourner à la table de négociation. Et il y aura une possibilité d’entente entre le Mali et la Cedeao.



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Pour sortir de cette situation difficile, il faut déjà privilégier la négociation, la discussion. Et ne pas rentrer dans un dialogue de sourds. Continuer à discuter avec la Cedeao, je crois, s’inscrit dans la logique que s’il y a des avancées, ils vont alléger les sanctions. Par exemple, on peut continuer à discuter sur le calendrier des élections. Il ne s’agit pas d’accepter ou de proposer des dates juste pour le plaisir.

Mais de proposer un calendrier qu’on peut réellement tenir. Il faudrait discuter de ce calendrier avec tous les partenaires, pas seulement la Cedeao, qui veulent réellement accompagner le Mali. Par exemple, si nous ne pouvons pas tenir le vote dans toutes les régions pour des raisons de sécurité, parce que nous n’avons pas assez de force pour ce faire, si la communauté internationale a des éléments de réponse, qu’elle nous les propose afin que nous les analysions ensemble. Si nous n’avons pas les moyens financiers d’organiser les élections partout, si la communauté internationale, notamment la Cedeao, a les moyens matériels, militaires ou humains pour nous accompagner, qu’on en discute.



Je pense qu’il appartient au gouvernement de Transition d’ouvrir les discussions avec ses différents partenaires, faire les constats, faire connaître les difficultés qu’il rencontre pour la tenue des élections. Il s’agira ensuite de voir avec ces partenaires qui peut faire quoi pour aplanir ces difficultés. Je crois que c’est une base de discussion sincère de cette nature qui peut permettre au Mali et à ses partenaires de s’entendre.

Parce que j’ai l’impression que les arguments avancés par le Mali ne semblent pas être tenables pour la Cedeao et d’autres partenaires. Peut-être que ce sont des appréciations parfois de loin. Car, tant que vous ne discutez pas sur le fond des problèmes, parfois il est difficile de se comprendre. Surtout quand il y a des suspicions qui pèsent entre des partenaires, ça complique beaucoup de choses.     


          
Je pense qu’il y a de grande chance pour les négociations. Le gouvernement, la Cedeao ou tous les partenaires du Mali savent bien que notre pays est partie intégrante de l’organisation sous-régionale. Si jamais le Mali devrait être isolé, il servira peut-être de nid pour le terrorisme. Parce que je n’imagine pas ce qui s’est passé en Irak ou en Afghanistan, que le Mali tombe entre les mains par exemple des groupes terroristes. C’est tout le Sahel qui va en payer les conséquences, et le monde entier aussi.



Je n’ose même pas imaginer les conséquences sur les populations maliennes, parce qu’il ne s’agit pas de voir les dirigeants de la Transition comme étant des anti-démocrates. Mais surtout c’est de regarder le peuple malien. Et c’est le peuple malien qui va souffrir avant tout des conséquences de ces sanctions : le gel des avoirs de l’État, la fermeture des frontières… Ce sont là des difficultés réelles que les populations vont ressentir. Nous sommes un pays enclavé qui a peu de moyens, qui traverse cette crise sécuritaire, la pandémie de la Covid-19, des difficultés liées à l’agriculture...

Propos recueillis par
Oumar DIAKITÉ et
Mariétou KOITÉ

Rédaction Lessor

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