Me Mountaga Tall : « Nous pouvons avoir droit à tous les rêves pour aller vers le mieux-être »

Dans cette interview, le président du Congrès national d’initiative démocratique-Faso Yiriwa Ton (Cnid-FYT) fait un diagnostic des différents régimes qui se sont succedé depuis l’indépendance. Me Mountaga Tall évoque aussi les réformes politiques et institutionnelles initiées par les autorités de la Transition ainsi que le chronogramme du réferendum et des élections

Publié mardi 20 septembre 2022 à 05:18
Me Mountaga Tall : « Nous pouvons avoir droit à tous les rêves pour aller vers le mieux-être »

L’Essor : Cette année, notre pays célèbre le 62è anniversaire de son accession à l’indépendance. Quel est votre regard sur le parcours du Mali, 62 ans après ?

Me Mountaga Tall : Vous savez, 62 ans pour les êtres humains, c’est l’orée du troisième âge. Mais pour une Nation, 62 ans sont presque insignifiants dans la durée. Pour autant, avec tant d’années, il est important de jeter à la fois un regard rétrospectif et prospectif sur ce que nous avons fait de notre indépendance, tirer les enseignements et nous projeter dans l’avenir.


Il faut, en effet, se remémorer que l’indépendance ne nous a pas été servie sur un plateau d’argent. Ce n’était pas un octroi, mais au contraire une conquête difficile, aussi difficile qu’a été l’opposition de nos aïeux à la pénétration coloniale. Et le combat pour l’indépendance ne pouvait aboutir qu’avec la mobilisation des masses populaires. Ce qui signifie, pour leur engagement, que des promesses ont été faites, non seulement pour leur liberté, mais aussi pour leur dignité et pour un mieux-être individuel et collectif, c’est-à-dire le développement. Qu’avons-nous fait de cela en 62 longues années ?

Nous avons connu trois Républiques et différents régimes. Personne ne pourrait soutenir valablement que chacun de ces régimes ou que chacune de ces Républiques ait tout réussi ou tout raté. On ne gouverne pas impunément, dit-on. Donc, il y a des insuffisances partout, des reproches à faire à chacun de ces régimes et à ces différentes Républiques.

Mais il y a aussi des acquis. Mais, ce qui est regrettable, aujourd’hui, nous n’avons pas eu le courage au Mali de faire le bilan. Et pour ceux qui ont gouverné de faire leur autocritique. Or, en prenant chacun de ces régimes, on peut trouver une part d’actions qui nous ont conduit vers la tenue des promesses faites, mais aussi, une part sombre. Allons-nous avoir l’intelligence et le courage d’aller, non pas vers ce qui s’est vu ailleurs, c’est-à-dire des commissions vérité, justice et réconciliation, mais que pour le Mali et son bien, nous allions vers une Commission vérité et réconciliation en se disant qu’on n’a pas besoin, aujourd’hui, d’aller vers des règlements de compte judiciaires.

Si nous réussissons à faire cela, nous pourrions réconcilier ceux qui sous la première République ont bénéficié des retombées du développement économique et social de notre pays et ceux qui ont connu une répression dure. Ceux qui, sous la deuxième République, ont bénéficié de la protection de l’état à travers un certain nombre de dispositifs et ceux qui ont souffert le martyre sous le parti unique et constitutionnel. Sous la troisième République, il y a des acquis fondamentaux dans différents domaines qui sont réels mais aussi la chasse aux opposants. Et nous avons connu des ruptures brutales et sanglantes plus d’une fois.

Il faudrait que nous ayons le courage d’en parler. Quoi qu’il en soit, 62 ans après, nous pouvons, aujourd’hui, nous enorgueillir d’un certain nombre d’acquis qui se sont consolidés ces dernières années. Au-delà de l’indépendance juridique et formelle, aujourd’hui, chaque Malien au plus profond de lui-même, parle de la souveraineté du Mali, de l’indépendance du Mali, de respect dû au Mali et à ses autorités, du respect de la dignité du Malien. Sur ce socle, consolidé après six décennies, nous pouvons avoir droit à tous les rêves pour aller vers ce mieux-être individuel et collectif que nous continuons à rechercher.

L’Essor : Quelle est votre appréciation sur l’évolution de la situation sociopolitique de notre pays ?


Me Mountaga Tall : Il y a deux ans, une vague de fond s’est soulevée dans notre pays pour contester la gouvernance. Ce mouvement a été porté par le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) qui s’inquiétait des dérives et qui avait dit très clairement que si des solutions n’étaient apportées, le Mali risquait de disparaitre en tant que Nation, République laïque et démocratique.

Cet appel a été entendu. Nous avons été témoins des manifestations monstres non seulement à Bamako, à l’intérieur du pays mais aussi au niveau de la Diaspora, pour demander essentiellement un nouveau Mali, le Mali Kura, qui devrait en vérité traduire en actes concrets tous les engagements, toutes les promesses formulées depuis soixante années : consolider les acquis, corriger et rectifier les insuffisances.

Depuis, une refondation du Mali est en cours. Un chronogramme sur la refondation est élaboré qui ne pourrait s’achever pendant la Transition en cours, mais dont les fondements devraient être posés avant la fin de la Transition. Ce qui suppose que sur le plan institutionnel et politique, il faudrait aller vers des normes nouvelles qui devraient, avant tout, être fixées dans une nouvelle Constitution.


Les Maliens se rappelleront que trois tentatives de réviser notre Constitution ont échoué. Il y a aujourd’hui une opportunité extraordinaire, enfin, à tenir compte de l’œuvre du temps. Parce que notre Constitution, aujourd’hui, a 32 ans. Donc, il faut l’adapter au contexte actuel. Mais, une Constitution ne se mange pas, ne se boit pas. Il faut qu’au-delà, la refondation porte sur les avancées en matière économique, social et de sécurité qui sont, aujourd’hui, notre talon d’Achille.

Pour cela, il faudrait que chacun des Maliens se sente comptable du devenir de notre Nation. Nul ne doit s’auto-exclure et nul doit être exclu. Il s’agit, aujourd’hui, dans une démarche intelligente, de rassembler tous ceux qui ont l’amour et le souci du Mali sur des bases très claires : le patriotisme, l’intégrité et la compétence. Et ces différentes qualités se retrouvent chez les jeunes et les anciens, chez les femmes et les hommes, dans la société civile et dans la classe politique, chez les militaires comme chez les civils. Rassembler ces énergies et compétences vont nous permettre de parachever l’évolution socio-politique en cours dans notre pays.


L’Essor : Les autorités ont présenté, il y a quelques mois, un chronogramme des élections. Qu’en pensez-vous ?

Me Mountaga Tall : Il y a un chronogramme ambitieux, adopté sous des pressions nationales d’abord parce que nous avions pris des engagements, des pressions internationales compte tenu du contexte mondial et de notre appartenance à des institutions communautaires. Nous avions estimé qu’il fallait un délai raisonnable pour travailler à ce que plus jamais, il n’y ait de rupture constitutionnelle au Mali. Les délais initialement estimés ont été drastiquement réduits pratiquement des 2/5. Pour autant, nous avons pris l’engagement de réaliser ce qui a été convenu dans ces délais. Cela ne suppose pas qu’il y a eu renoncement à des tâches essentielles. Mais, c’est un engagement à dormir moins, à se reposer moins, à manger moins et à travailler plus dans un temps très réduit.

Dans ce cadre, des chronogrammes ont été adoptés et publiés : un chronogramme sur le référendum et les élections, un autre sur les autres réformes politiques et institutionnelles. Le tout daté. On entend quelques fois des voix s’élever pour dire sur tel ou tel point il y a des retards. Ce sont les évaluations d’étapes. Quand ceci est signalé, il faut travailler pour rattraper ce retard, aller plus vite et arriver à l’objectif suivant dans le délai imparti. C’est ce qui est en cours. Ce qui a été conçu est l’idéal mais confronté aux réalités, on peut constater un certain nombre d’obstacles à franchir.

Pour l’essentiel, les tâches à effectuer sont, aujourd’hui, parfaitement cernées, des dates fixées, des femmes et des hommes mis en mission pour les élections et le referendum. Mais aussi pour concevoir la Constitution et suivre tout ce qui doit être fait, le tout avec à la tour de contrôle le président de la Transition, des organes d’exécution tel que le gouvernement, des organes d’orientation tel que le Conseil National de Transition.


Mais je cite tout cela pour dire que l’essentiel est ailleurs, c’est le peuple malien qui aura tort de dire : c’est l’affaire des autorités. Et qui devrait se dire : je suis le premier concerné, le premier bénéficiaire et l’acteur de mon développement. Je suis le gendarme pour que les autorités de la Transition fassent ce qu’il faut. Et in fine, je suis, en dehors d’Allah, Exalté soit-Il, l’arbitre suprême.


Ce peuple, aujourd’hui, qui se retrouve, qui est engagé ne doit pas reculer. C’est le prix pour que nous puissions atteindre les objectifs dans un contexte extrêmement difficile, d’abord le contexte national avec l’insécurité. Tout le monde en convient, nos Forces de défense et de sécurité, aujourd’hui, je ne dirais pas montent en puissance, sont en puissance. Mais dans le même temps, les groupes armés terroristes, les narcotrafiquants, les bandits de grand chemin ne désarment pas. Et là aussi, pour les vaincre, il faut une collaboration entre les populations et ses Forces de défense et de sécurité. Tout cela rend le contexte national difficile.


Mais le contexte international est encore plus difficile. L’hostilité, les agressions dont notre pays fait l’objet en raison de notre volonté de nous assumer et d’être indépendants. Couper ce type de liens dont certains pensent qu’ils sont même ombilicaux, n’entraine pas forcément de la sympathie et nous sommes face à plus forts que nous du point de vue militaire, économique et de l’influence politique. Mais, nous avons décidé de nous assumer et nous devons arriver au bout de cette logique. En plus, le contexte international, c’est aussi toutes les conséquences de la guerre en Ukraine que l’ensemble du monde subit.

Ce sont tous ces problèmes d’ordres économiques, environnementaux et écologiques qui font que nous connaissons, après des cycles de sécheresse et d’inondations ou autres, un coût exorbitant, aujourd’hui, en matière de prix des matières premières que nous consommons. Alors que nous sommes un pays sans littoral et central. Alors, tout cela mis bout à bout, renseigne et enseigne sur nos difficultés, mais je gage que nous saurons les relever.

L’Essor : Quelle lecture faites-vous des réformes politiques et institutionnelles en cours ?

Me Mountaga Tall : Il faut distinguer deux choses. Les textes que nous avons et qui sont en train d’être réformés avaient besoin d’un lifting sans aucun doute. Mais, ce ne serait pas très honnête de ramener tous nos échecs à l’insuffisance des textes. Ces textes ont tenu trois décennies, cela veut dire qu’ils étaient assez solides. Mais, même pour une personne physique, après trente années, il y a beaucoup de mutations. Pour une Nation, il y a beaucoup de changements qui peuvent intervenir. Donc, il faut les intégrer, ce qui explique la pertinence des réformes.

Mais l’autre vérité est que les hommes ont beaucoup failli. Et parmi ceux-ci, il y a principalement ceux qui ont eu en charge la gestion publique au premier rang desquels les hommes politiques. Si l’on regarde ce qui s’est passé en dehors de l’inflation des partis politiques dont la plupart n’avaient pas de sens, il y a des comportements qui ont révulsé les Maliens : la corruption, les changements de veste, de discours, les grandes et les petites trahisons et autres qui ont fait qu’il y a eu une rupture fondamentale entre les Maliens et la classe dirigeante.

Mais, il serait profondément injuste de ramener la classe dirigeante à la seule classe politique, sa responsabilité reste éminente, mais elle a gouverné avec la société civile, les militaires. Dans cette gouvernance, il y avait des jeunes et des vieux, des femmes et des hommes. Tout cela, je ne le dis pas pour disculper la classe politique, mais il ne faudrait pas aussi considérer que par définition et par essence la classe politique et tous les hommes politiques sont mauvais.


On ne pourrait être juste et s’en sortir qu’en analysant les faits et gestes de chacun à travers ce que j’appelle « un scanner politique » où chacun doit être observé le plus minutieusement possible, non pas sur ce qu’il a dit, mais sur ce qu’il a fait quand il a été en position de pouvoir faire ou sur ce qu’il n’a pas fait quand il devait faire. Sur ce prisme, on pourrait avoir les dirigeants qu’il faut pour le Mali.

 

Propos recueillis par

Bembablin DOUMBIA

Bembablin DOUMBIA

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