Jean François Marie Camara : «Il faut poursuivre les consultations pour aboutir à une Constitution qui va consolider davantage notre démocratie »
Il faut
essayer de retracer l’historique qui nous a conduit vers la rédaction d’une
nouvelle Constitution. À ce stade, nous sommes à la phase d’un projet, ce n’est
pas encore une Constitution. Depuis 1992, notre Constitution actuelle n’a subi
aucune réforme. C’est-à-dire tout simplement que les différents chefs d’état
n’ont pas pu le faire.
Alors, les
autorités de Transition ont compris qu’il y a la nécessité de réformer notre
Loi fondamentale, de mettre en place surtout une nouvelle Constitution qui
puisse répondre aux aspirations du peuple. Pour cela, elles ont décidé de créer
un comité qui va se pencher sur la rédaction d’une nouvelle Constitution, afin
de consolider davantage notre système démocratique.
Alors, dans
cet avant-projet de Constitution, il y a des changements notables, surtout
quand vous regardez le régime politique dans lequel nous nous trouvons
aujourd’hui.
C’est un régime politique appelé par certains constitutionnalistes
régime mixte ou régime semi-présidentiel, même si je ne suis pas trop d’avis
par rapport à cette qualification. Dans ce projet de Constitution, les
rédacteurs ont touché à notre régime politique pour nous basculer vers un
régime présidentiel qui a été fondé aux États-Unis en 1787. Ce régime politique
américain précise clairement qu’il y a une séparation stricte entre les
pouvoirs.
C’est-à-dire qu’il y a l’absence des moyens d’actions entre les
pouvoirs. Le président américain n’a pas le droit de dissoudre le Congrès qui
est la composition de la Chambre des représentants et le Sénat. Le Congrès, à
son tour, n’a pas la motion de censure contre le président.
Exceptionnellement,
il dispose d’un pouvoir qu’on appelle l’impeachment qui peut destituer le
président de la République en cas de faute ou en cas de haute trahison. Alors,
quand vous regardez dans ce projet de Constitution dans le contexte malien,
vous allez voir que nous ne sommes pas dans le régime présidentiel à
l’américaine. C’est-à-dire qu’à l’américaine, il y a une séparation stricte des
pouvoirs, tel n’est pas le cas dans ce projet. Ils ont tenté de diminuer les
pouvoirs du président de la République en lui retirant son pouvoir de
dissolution.
Le président ne peut plus dissoudre le Parlement, comme c’est le
cas aujourd’hui avec l’actuelle Constitution du Mali en son article 42. Et le
Parlement, à son tour, a la motion de censure. Les députés peuvent limoger le
Premier ministre en votant une motion de censure. Alors, dans cet avant-projet,
il n’y pas la motion de censure. Donc, cela nous envoie un peu vers le régime
présidentiel même si ce n’est pas le régime présidentiel véritable.
Il y a d’autres innovations. Le président de la République peut limoger le Premier ministre. C’est-à-dire que dans cet avant-projet, le gouvernement est responsable devant le président de la République. Dans l’actuelle Constitution, le président ne peut pas limoger le Premier ministre.
L’article
38 de la Constitution le précise clairement. Mais dans ce projet, il peut le
faire. Donc ça aussi c’est une innovation. Les modes de désignation des membres
de la Cour constitutionnelle ont été aussi modifiés.
Le président peut nommer deux membres de la
Cour constitutionnelle, le président du Haut conseil de la Nation peut nommer
un et l’ensemble des universités, des recteurs peuvent nommer aussi des
spécialistes de droit public. Et les avocats peuvent nommer un. Donc, cela veut
dire qu’il y a eu des innovations dans ce cadre aussi. Le Conseil supérieur de
la magistrature peut être saisi par tout citoyen. C’est une innovation notable
qui va nous permettre d’aller surtout vers la sauvegarde de l’état de droit.
Donc, mon point de vue est que cet
avant-projet n’est pas assez clair. Il va falloir davantage que les autorités
de la Transition discutent avec la classe politique, la société civile pour
essayer de voir ce qu’on peut modifier dans ce texte. Cela, pour qu’il soit
véritablement une Constitution qui va respecter les aspirations du peuple et
qui va consolider davantage notre démocratie. Et il y a aussi surtout l’article
121 de l’actuelle Constitution qui précisait que le coup d’état est un crime
imprescriptible. Quand vous regardez dans cet avant-projet, il n’y a pas cette
disposition.
Donc, il faut créer une disposition qui permettra davantage de
dire que le coup d’état est un crime imprescriptible qui ne peut être amnistié
dans aucune situation. Donc, ce sont des questions qui peuvent être soulevées
dans les différentes discussions. Et la question de langue aussi doit être
précisée.
Propos recueillis par
Jessica Khadidia
DEMBÉLÉ
Rédaction Lessor
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