
La terrible nouvelle me fut confirmée par deux amis proches du défunt. D’abord par le célèbre sociologue ivoirien Abdou Touré qui connut Drissa Diakité alors qu’ils poursuivaient leurs études en France et ensuite par le Pr. Salif Berthé que je joignis immédiatement, connaissant sa grande proximité avec le Pr. Diakité. Le Peul venu du Birgo a donc achevé sa course sur les rives du Djoliba à Bamako. Dans la grisaille abidjanaise de ces temps pluvieux, le sort ne pouvait faire pire pour cristalliser ma flegme matinale. « La mort se hâte et Dieu nous délivre un à un » souligne le grand Hugo sur la tombe de Louise Julien le 26 juillet 1853. Mais « l’homme ne sait pas être mortel », dit Goethe à Hemingway.
Désir d’immortalité ? Assurément non. « Dans les conditions modernes, écrit Hannah Arendt, il est en vérité si invraisemblable qu’un homme aspire sérieusement à l’immortalité terrestre que l’on a probablement raison de n’y voir que de la vanité ». Qu’Arendt se rassure cependant car nous avons bu depuis longtemps à cette sagesse malienne issue du tréfonds des âges : saya té dafin shi to (la mort n’épargne aucun être vivant) , certitude donc de notre finitude, loi universelle inscrite dans l’éternité par les religions révélées à l’image de l’Islam : Toute âme goûtera la mort. Ensuite c'est vers Nous que vous serez ramenés. (Sourate 29 ;Verset 57).
C’était l’homme d’une seule pièce, un homme authentique et vrai, dépouillé de tout artifice. Il n’aimait ni les dithyrambes, ni les flagorneries, encore moins les bondieuseries malgré ses états de service appréciables. Avec sa disparition, le Mali et l’Afrique perdent en Drissa Diakité, une figure historique et authentique qui a fortement contribué au combat victorieux du peuple malien en mars 1991, afin de retrouver sa couronne de gloire et d’espérance confisquée par près d’un quart de siècle de dictature militaire.
Les hommages rendus au défunt par les acteurs de cet épisode héroïque, ont abondamment insisté sur cet aspect de la vie de celui que ses intimes appelaient Badri, pour que toute dissertation sur la question soit pour le moins superflue. Je connus d’ailleurs Drissa Diakité non sur les barricades de cette année de braise, mais dans les salles de cours de l’ENSUP en 1995. Jeune étudiant venu de l’université d’Abidjan, je vis entré dans l’une des salles de cours de cette prestigieuse école de formation, un jour de mai
de cette année, un homme à la silhouette frêle, richement paré d’une tenue traditionnelle malienne. Il s’appelait Drissa Diakité et dispensait un cours intitulé ‘’Traditions culturelles maliennes’’. C’était un régal que de l’écouter tant la précision de son verbe, ses qualités de pédagogue et sa vaste érudition à propos des civilisations du Mali, étaient indiscutables, le tout couronné par un art consommé de l’humour. Il en était ainsi lorsqu’au cours d’une séance, il s’évertua à nous instruire sur les imaginaires conçus par les hommes à propos des qualités physiques d’une femme dans la société malienne. Avec un sourire malicieux, il parlait alors de la Yayoroba dont les rondeurs pouvaient faire perdre la tête à plus d’un.
Lorsqu’il en venait à restituer la grammaire de l’ethnogenèse du Mali, nous buvions à sa gourde intellectuelle avec délectation, tant il dominait son sujet. Des lieux mythiques comme Kangaba, Dakadjalan, Krina, Niani, Kurukanfuga, Sibi, des rites mémoriels à savoir le Kamablon et sa réfection septennale, des moments célèbres comme celui sur l’île de Dij Sumalé Mba à des encablures du Tôda dans le Fanga de Ségou, des figures épiques de la geste du Mali à l’instar de Soumaoro Kanté, Soundjata Keita, Kamajan Kamara, Naré Magan, Biton Coulibaly, N’golo Diarra, Da Monzon, les Tonjon et les héros des temps de l’anarchie tonjon (Kanouba Gnuma ,Kafadjougou, Ton Masa Dembélé), des porteurs de mémoire pour emprunter une catégorie du philosophe sénégalais Mamoussé Diagne à l’image de Bazoumana Cissoko, Kéla Balla, Wa Kamissoko, Siramori Diabaté, Kèlè Monzon Diabaté etc., nous devenaient ainsi familiers, tant l’enseignant avec un art consommé du récit historique, savait nous transporter sur les scènes primitives qui ont forgé l’histoire du Mali.
Ce brillant pédagogue, ce prince de l’esprit fut tout aussi un esprit rebelle à tout reliquat de sujétion, comme en atteste son maître-livre Kuyaté, la force du serment (2009). Véritable éloge à la rupture épistémologique, cet ouvrage restera dans ce sens comme un morceau de bravoure pour ceux et celles d’entre nous, militant pour l’avènement d’une épistémologie du sud en rupture avec les canons dominants venus d’ailleurs. Horresco referens, il ferraillait contre ceux qu’il qualifiait de croisés de la tradition orale. Et de poursuivre : « Les voilà de nouveau, comme renaissant de leurs cendres, et imbus de leurs schèmes mentaux et culturels dominants, ils vilipendent nos mythes et nos traditions, notre mémoire sociale et ses dépositaires, notre culture et notre histoire, notre savoir cumulé en un mot. Ils prétendent que notre passé, celui qui depuis des siècles nous est transmis par la voie orale, qui coule aujourd’hui encore de la ‘’bouche féconde de nos aèdes’’, ce passé-là est un ‘’passé absent’’...Ils disent cela, ces nouveaux ‘’fétichistes de l’écriture’’, parce qu’ils voudraient peut-être que nos ‘’ancêtres’’ demeurassent ‘’les Gaulois » ( Diakité 2009 : 23).
Toute chose que celui qui croyait à l’éclat éternel du non, ‘’Ban Dé bé horogna Dia’’ (c’est le refus qui donne de l’éclat à la noblesse) disait-il lors d’un débat, ne pouvait accepter. J’eus le privilège d’être au nombre des panélistes chargés de lui porter la contradiction à la sortie de Kuyaté, la force du serment lors d’un débat au sein de l’amphi Aula Magna de l’ex- FLASH de l’Université de Bamako. L’élève se trouvait ainsi face au maître dans un débat qui aura tenu toutes ses promesses. Ce jour-là, le maître resta cependant le maître par l’étendue de ses connaissances, preuve de la qualité de sa conversation avec le terrain.
En perdant Drissa Diakité, le Mali et l’Afrique ont perdu l’un de leurs plus ardents défenseurs, l’un de leurs hérauts qui a parcouru bien de chemins escarpés à la quête de preuves matérielles et spirituelles attestant d’un passé glorieux, afin de leur restituer leur éminente dignité historique. En perdant Drissa Diakité, l’historiographie africaine a perdu à la fois un défricheur, un découvreur et un veilleur de l’espérance qui, comme Vestale s’était donné pour mission d’entretenir le feu sacré afin que brille au firmament l’histoire africaine.
Dans le bassin des études Mandé, Drissa Diakité a en effet déposé un limon fertile, qui servira sans doute à renouveler les études sur le monde mandingue. Par cela seul, il mérite la reconnaissance de l’alma mater malienne et africaine et contre Charles Péguy, il a montré que l’histoire finalement ne donne pas que des cendres. A sa famille éplorée, à ses proches, aux collègues de Bamako et d’ailleurs, à mes condisciples de la promotion Bakary Sanogo (1995-1999), au Mali entier, je présente mes condoléances les plus émues tout en priant pour le repos de son âme.
Adieu cher maître.
Cheick Cissé
Maître de Conférences en Histoire
Université d’Abidjan
Rédaction Lessor
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