#Mali : Accès au permis de conduire : la procédure est-elle véritablement respectée ?

Les auto-écoles trouvent des arrangements avec les agents chargés du permis de conduire pour que leurs candidats puissent obtenir ce document. Cette situation n’est pas sans conséquences sur la sécurité des usagers de nos routes. Selon les statistiques officielles, une personne est tuée toutes les 14 heures au Mali du fait des accidents de la route

Publié mardi 16 avril 2024 à 05:25
#Mali : Accès au permis de conduire : la procédure est-elle véritablement respectée ?

Certains affirment passé par des agents d’auto-école pour avoir le document

 

Mardi, nous sommes dans la cour de l’Office national des transports (ONT) à Sogoniko en Commune VI du District de Bamako. Il est environ 8 heures 30 minutes, les candidats aux permis de conduire pour la catégorie B (poids léger) attendent impatiemment le démarrage de l’épreuve théorique qui concerne les règles de la circulation routière). Pendant ce temps, l’heure est à la confidence. «Il (un agent) m’a dit de passer après», chuchote un postulant à un ami. «C’est pour que tu donnes le blé», réplique le compagnon. Et de renchérir : «J’ai un grand frère, il est venu un jour prendre son permis de conduire en trente minutes sans passer les examens».

Quelques minutes plus tard, un agent ouvre la porte d’une salle, plongée dans le noir du fait de la coupure d’électricité, où les épreuves théoriques doivent se dérouler. Puis, un autre agent appelle et rassemble les candidats devant le portail de la salle et leur explique les consignes à respecter strictement. Selon ce dernier, l’accès à la salle est conditionné à la présentation soit d’une carte nationale d’identité, soit d’une fiche description individuelle avec la photo (Nina), le passeport ou encore la carte scolaire. «Nous acceptons les cartes professionnelles pour certains cas», indique l’agent sans donner plus de précision.

Il dira également que les «képis» et les «turbans» ne sont pas autorisés dans la salle. Idem pour les lunettes à condition qu’elles soient prescrites par un médecin. «Il faut répondre présent parce qu’on ne donne pas le permis à un sourd», signale notre interlocuteur sur un ton humoristique, ajoutant que l’utilisation des téléphones est aussi interdite dans la salle. «Si on voit quelqu’un entrain de filmer dans la salle, nous retirons son dossier. Cependant, cela ne voudrait pas dire que nous nous reprochons quelque chose», prévient l’agent, les bras chargés de dossiers. Il est assisté par deux agents de la police nationale qui assurent la sécurité autour de l’opération.

Derrière cette scène insoupçonnable, beaucoup de nos compatriotes pointent des irrégularités sur les examens d’obtention du permis de conduire. Moh est le surnom que nous donnons à un interlocuteur. Ce dernier affirme avoir passé par un «pot-de-vin», à travers son agent d’auto-école, pour avoir son permis de conduire dans la catégorie poids lourds, il y a une année. Il explique son histoire : «Avant d’aller aux épreuves, notre agent d’auto-école nous a demandé de payer chacun 10.000 Fcfa en vue de négocier les agents chargés du permis de conduire». Il estimait que beaucoup d’entre nous ne pourraient pas faire sortir le véhicule entre les piquets sans les toucher. Le jeune homme d’une vingtaine d’années poursuit : «Si tu es malin, tu peux dire que tu ne payes pas sans faire d’abord les examens. Maintenant, en cas d’échec, tu donnes. Mais, ceux qui ont urgemment besoin du permis s’acquittent séance tenante.»

Notre interlocuteur explique avoir refusé de payer dans un premier temps avant de céder. «Malheureusement, à mon retour en marche arrière, j’ai percuté les piquets avec un camion benne. C’est ainsi que j’ai accepté et négocié à 5.000 Fcfa avec mon agent d’auto-école qui a ramené après mon permis», souligne celui qui est conscient du danger de cette situation. Moh déclare avoir cherché ce précieux sésame pour une offre d’emploi dans une société d’exploitation minière, un poste qu’il n’a pas eu finalement.

Contrairement à lui, S.S (les initiales d’un interlocuteur) n’a déboursé aucun centime, frauduleusement, à travers son agent d’auto-école, pour son parchemin. Toutefois, il dit à qui veut l’entendre que lors de son examen pratique, il a renversé les barres sans reprendre. Alors qu’en l’espèce, selon les spécialistes du domaine, si le candidat échoue une première fois, il doit se représenter, la semaine suivante. S’il échoue une deuxième fois, il doit se représenter dans un mois. Après six tentatives, il reprend dans les conditions d’un nouveau candidat.

Pour un autre interlocuteur, négocier pour avoir le permis n’est pas grave d’autant plus que les personnes concernées pourront avoir la maîtrise de l’engin au fur et à mesure qu’elles conduisent. «Mais, ce qui est grave, c’est d’avoir son permis de conduire sans même passer les épreuves», estime-t-il.

Le formateur en sécurité routière de l’auto-école «Kanaga», Anaye Guindo, balaye d’un revers de la main le fait que des gens paient de l’argent pour avoir leurs documents. Toutefois, dira-t-il, à l’examen pratique, en marche dans la circulation, s’il y a des hésitations au niveau des dépassements, des croisements et des arrêts, les inspecteurs de permis peuvent pardonner ces situations. «Mais, négocier pour faire passer un mauvais candidat, je ne pense que cela est possible», indique le spécialiste d’un air d’étonnement.

De son côté, le directeur régional des Transports du District de Bamako, Diakadia Diallo nie catégoriquement le fait qu’on peut avoir «frauduleusement» son permis. «Je m’inscris en faux concernant ces affirmations. Les gens peuvent dire ce qu’ils pensent, nous, nous sommes là et nous travaillons dans les règles de l’art. Nous n’accepterons jamais ce genre de pratiques dans notre structure», déclare-t-il sans ambages. D’après le directeur, la réussite à l’examen pratique dépend de l’appréciation des inspecteurs de permis de conduire.

 

ARRANGEMENT- Contrairement aux deux précédents interlocuteurs, un ancien agent d’une auto-école de la place, sous couvert de l’anonymat, confirme l’existence d’irrégularités autour de l’accès au document. Ce dernier rappelle que les frais de formation de leur établissement d’enseignement de la conduite s’élevaient à 60.000 Fcfa. En plus de ce montant, l’auto-école prenait 15.000 Fcfa comme «arrangement» avec ses clients qu’elle utilisait pour négocier des agents chargés de ce précieux sésame, raconte notre interlocuteur. «Une fois qu’ils paient cette somme, ils sont libres de passer ou pas les examens, puisqu’après tout, ils auront leurs permis.


Cependant, s’ils décident de le faire, comme c’est le cas très souvent, par curiosité, en cas d’échec, ils déboursent une somme supplémentaire de 7.500 Fcfa comme arrangement», explique l’ancien formateur en sécurité routière. Normalement, indiquera-t-il, lorsqu’on renverse les piquets lors de l’examen pratique, on doit le reprendre. Notre interlocuteur raconte une anecdote selon laquelle, il a fait sortir le permis de conduire d’un de ses frères sans que celui-ci se déplace pour passer les épreuves. «Quand je suis rentré à la maison avec son permis, il n’en croyait pas ses yeux. Il m’a fait savoir qu’il voulait faire les épreuves», déclare l’ancien agent d’auto-école.

Cette situation représente des conséquences sur la sécurité routière de notre pays avec ses corolaires d’accidents souvent mortels. Les statistiques en la matière sont alarmantes. En 2022, 8.189 cas d’accidents ont été enregistrés avec 8.297 blessés et 684 tués. Ce nombre est légèrement passé en hausse, en 2023, avec 689 tués. Pis, les statistiques annuelles d’accidents de la route, collectées par l’Agence nationale de la sécurité routière (Anaser), révèlent qu’une personne est tuée toutes les 14 heures dans notre pays.

Ces accidents, souvent graves et qui peuvent être évités, sont la première cause d’encombrement des services d’urgence dans les hôpitaux. Et parmi les facteurs, celui humain occupe,à  lui seul, 82%. Le reste étant réparti entre les défaillances techniques du véhicule (10%), les infrastructures routières et son environnement (08%), selon les données officielles. Même si les statistiques ne le précisent pas, il est aisé de comprendre que ce taux élevé lié au facteur humain est dû, en partie, aux irrégularités autour du processus d’accès au permis de conduire.

Car,  on imagine mal qu’une personne qui a eu son permis dans ces conditions, puisse bien conduire dans la circulation, à plus forte raison, respecter les règles en la matière. Sur ce sujet, une étude pour l’amélioration de la sécurité routière dans le District de Bamako, parue en 2018, signale que «la méconnaissance généralisée des règles du Code de la route et de la signalisation est en grande partie la raison de la plupart des accidents».

Il y a quelques mois, la ministre des Transports et des Infrastructures, Mme Dembélé Madina Sissoko, a affiché son ambition de ramener le taux de mortalité par accident de la circulation routière à un niveau de «25 tués pour 100.000 habitants». Cela, conformément à la Stratégie nationale de sécurité routière qui «vise à réduire le taux de mortalité des accidents de la route de 50% en le ramenant de 25 à 12 tués par 100.000 habitants à l’horizon de 2030». Elle a noté que l’utilisation de stupéfiants par les conducteurs et le «manque de matrise des engins» sont des facteurs favorisant les accidents.

La ministre a, par ailleurs, exhorté les usagers de la route à respecter scrupuleusement le Code de la route, avec des recommandations de vitesse de 50 km/h en agglomération et 90 km/h en rase campagne. Cela est d’autant plus nécessaire que «l’excès de vitesse est la cause de plus de 33% des accidents mortels», selon les données officielles.

Les frais des dossiers liés au permis de conduire s’élèvent à 14.750 Fcfa (toute catégorie confondue). Selon l’article 319 du Code pénal, conduire sans permis ou autorisation de conduire valable est passible d’un emprisonnement de 11 jours à 3 mois et d’une amende de 20.000 à 200.000 Fcfa. Cependant, il faut «corriger les dysfonctionnements détectés dans le système pour prévenir les accidents de la route», prévient l’étude pour l’amélioration de la sécurité routière dans le District de Bamako.

Bembablin DOUMBIA

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