#Mali : Gestion des forêts au Mali : Un imbroglio écologique

Malgré le contrôle intégral par l’État de la gestion de ce secteur vital pour le pays, la tendance à la dégradation se renforce de jour en jour. Les producteurs ruraux de bois dans les Régions de Kayes, Koulikoro et Sikasso, les commerçants - transporteurs, les structures étatiques, les boulangers et les revendeurs de bois en ville, constituent un ensemble d’acteurs actifs impliqués dans la problématique

Publié vendredi 12 avril 2024 à 07:54
#Mali : Gestion des forêts au Mali : Un imbroglio écologique

Entre 2010 et 2015, le nombre de nouvelles boulangeries dont celles utilisant exclusivement le bois comme source d’énergie est passé de 133 à 313

  Dans son livre «l’Arbre Monde», publié en 2018, l’auteur américain Richard Powers écrit ceci : «Après des années passées seule dans la forêt à étudier les arbres, la botaniste Pat Westerford en revient avec une découverte sur ce qui est peut-être le premier et le dernier mystère du monde : la communication entre les arbres…». Cette révélation alerte l’humanité sur le caractère sacré des espèces végétales et leur rôle dans notre existence.

Au-delà de leur bienveillance et leur générosité qu’ils expriment à travers différents services qu’ils nous rendent au quotidien (fruits, ombrages, produits pharmaceutiques, etc.), les arbres procurent au Mali, près de 80% de l’énergie domestique composée du bois et du charbon de bois. Si cette courbe n’est pas renversée dans les années à venir, il serait trop tard pour la survie de nos forêts, prédisent les spécialistes. Alors que notre pays vient de célébrer avec la communauté internationale, le 21 mars dernier, la journée des forêts, les chiffres de la déforestation de son territoire sont alarmantes.

En 2015, le Programme de gestion décentralisée des forêts (Gdefor) a mené une étude sur la problématique de l’utilisation du bois comme source d’énergie par les boulangeries au Mali. Elle a couvert les six communes du District de Bamako ainsi que la Commune de Kati et la Commune rurale de Kalaban-coro. Selon les résultats, entre 2010 et 2015, le nombre de nouvelles boulangeries dont celles utilisant exclusivement le bois comme source d’énergie, a explosé en passant de 133 à 313 soit, une augmentation de 180 unités en 5 ans. L’étude  constate la prolifération des boulangeries au cours des cinq dernières années avec 36 nouvelles unités par an.

Ce phénomène est imputable au faible coût économique du bois, concluent les auteurs. Alors qu’à l’origine, ces unités industrielles sont conçues pour utiliser l’électricité, le gasoil, le gaz ou le DDO. Mais les promoteurs de boulangeries modifient unilatéralement leurs machines et le type d’énergie, pour une reconversion d’usage du bois de forêt dont les modes d’acquisition sont mêmes souvent frauduleux, indique l’étude. En plus de ces industries, il y a les huileries artisanales, les tanneries et certaines usines semi artisanales et les ménages, dont plus de 90% en milieu urbain et presque 100% en milieu rural, utilisent le charbon pour la cuisine.

Chaque jour, ce sont des colonnes de camions 10 tonnes, très prisés pour le transport du bois, que l’on croise sur les routes d’approvisionnement (les régions du sud et du sud-ouest) en direction de la capitale. Selon une enquête menée par la Direction générale des eaux et forêts en 2010, les boulangeries constituent le plus grand maillon de consommation de bois de feu à Bamako. Elles utilisent 60% de la quantité de bois qui entre dans la ville.

 

400.000 HA DE FORÊTS DÉTRUITES- En conséquence, les seuls prélèvements pour le bois de chauffe et le charbon de bois qui constituent la principale source d’énergie domestique, sont estimés globalement à 5 millions de tonnes par an. C’est l’équivalent de 400.000 ha de forêts détruites. De nos jours, ce chiffre devrait atteindre ou dépasser les 7 millions de tonnes, soit 560.000 ha du couvert végétal détruit chaque année.

Selon un rapport de l’Organe des Nations unies en charge de l’agriculture (FAO) en 2000, la superficie forestière du Mali a diminué de 0,72% par an entre 1990 et 2000 à cause du déboisement, contre 0,78% en moyenne par an en Afrique et 0,24% par an au niveau mondial. Aujourd’hui, dans un contexte d’explosion démographique marqué par des besoins de plus en plus accrus des populations en bois, une attention particulière doit être accordée à cette problématique en vue d’y remédier en urgence, compte tenu des effets néfastes du changement climatique qui apporte de l’eau au moulin.

Comment trouver une adéquation entre les maigres ressources forestières en dégradation et les besoins sans cesse croissants d’une population qui évolue de façon exponentielle ? Un véritable imbroglio écologique qui rend l’équation difficile à résoudre. Des efforts ont été faits, ils sont en cours et seront toujours faits pour trouver une solution, répond le colonel-major des eaux et forêts,  Abdoulaye Tamboura, directeur général adjoint des eaux et forêts. Il y a seulement trois décennies, la couverture végétale nationale assurait convenablement ses fonctions écologique, économique et social. Cela malgré les coups durs portés par la sécheresse de 1972-1973, rappelle le responsable forestier.

Au cours de cette période de sécheresse, les forêts ont constitué un recours important pour les communautés rurales, par la fourniture d’aliments ou compléments alimentaires à travers les fruits, les feuilles, les tubercules, etc. Les résultats du Projet inventaire des ressources ligneuses du Mali (PIRL1985-1991) qui excluent les zones pastorales et désertiques, estimaient le domaine forestier national à 100 millions ha. Sur cette superficie, seulement 21 millions ha présentaient une certaine production forestière, notamment les forêts classées, les réserves de faune ou formations végétales agricoles (savanes vergers). La succession des années de sécheresse (1972-1973 et 1984-1985) a sérieusement éprouvé les formations végétales, estime l’officier. Ainsi du Sud au Nord, une régression de la pluviométrie a été constatée, donc un manifeste du changement climatique qui a progressivement impacté les formations forestières.

 

Le vent de la démocratie- Malgré ces contraintes, l’État, à travers le service des eaux et forêts, jouait pleinement son rôle régalien de gestionnaire et de protecteur des forêts. Des souvenirs de Moussa Ouologuem, ancien bûcheron, âgé de 70 ans aujourd’hui, il ressort une anecdote qu’il partage avec nous. C’était en 1987, dans une forêt au Centre du pays, il a été surpris par un agent forestier, en train d’abattre un grand arbre avec une hache. Sommé en vain par ce dernier d’arrêter son activité, il usa de son statut d’homme âgé et pauvre et répond au forestier : «Si je ne coupe pas cet arbre pour le vendre aujourd’hui, ma famille ne mangera pas demain.»


L’agent en larme lui tendit un billet de banque et le supplia de laisser l’arbre en vie, pendant qu’il était temps de le sauver. Cette scène qui a marqué à vie le vieux bûcheron, prouve à suffisance l’intégrité, l’amour des plantes, la loyauté au serment et la pédagogie qui caractérisaient un agent forestier.

C’est après la révolution de 1991 que tout a basculé, est convaincu Youssouf Konaté, président de l’Association des anciens forestiers du Mali. Il argue qu’à la faveur des intérêts politiques suscités par le multipartisme à l’époque, chacun devrait trouver son bouc émissaire pour plaire aux populations, surtout rurales, en vue de gagner des voix aux élections. Les discours haineux à l’égard des forestiers qui ont été indexés comme des oppresseurs, ont contribué à l’affaiblissement du service. Ses agents ont été percutés. Le nom du service a même changé pendant un long moment, avant de revenir à sa dénomination initiale.

Tous ces facteurs ont joué en faveur de la situation actuelle, résume l’ancien soldat de l’environnement. L’abandon des postes forestiers a donné lieu à un haro sur les ressources forestières. Le domaine forestier national est devenu un «Far west». Les exploitants de bois et du charbon, les orpailleurs et autres petits exploitants des ressources naturelles ont tenu leurs quartiers dans les forêts sans aucune inquiétude. D’autres effets pervers de ce basculement sont le comportement mercantiliste de nombre d’agents forestiers. Certains sont prêts à monnayer leur service avec un entourloupe ou se rendre complice des pratiques frauduleuses telles que l’exploitation et le transport illicites du bois et la production et le transport illicites du charbon de bois.

Cet avis, bien que partagé par nombre de Maliens, est mitigé pour Abdoulaye Tamboura. Ce dernier pointe du doigt, l’insuffisance du personnel et des moyens logistiques collectifs et individuels pour un contrôle efficace. Les effectifs du personnel forestier de la direction générale des eaux et forêts sont de 842 agents forestiers composés de 157 ingénieurs des eaux et forêts, 310 techniciens des eaux et forêts, 299 agents techniques des eaux et forêts et 76 agents gardes forestiers. Cette configuration des effectifs n’est pas conforme aux exigences de la pyramide d’encadrement qui indique un ratio de un ingénieur pour deux techniciens quatre agents techniques.

 

975 agents- L’effectif reste en deçà de celui indiqué dans le cadre organique. Cette insuffisance reste une contrainte majeure à l’exécution correcte des missions assignées au service des eaux et forêts, déplore son directeur général adjoint. En effet, les effectifs de la DGEF tournent autour de 975 agents (toutes catégories confondues) pour tout le territoire soit 1.241.238 km2. Avec les 842 agents forestiers, cela correspond à un ratio de 147.415 ha par agent contre la norme internationale qui est de 5.000 ha/agent.

Cette situation pose donc toute la problématique de la gestion durable des ressources forestières et fauniques, de leur surveillance et de l’appui conseil à apporter aux collectivités territoriales. Elle est exacerbée par la dégradation de la situation sécuritaire nationale. Par ailleurs, face à la dégradation constante du domaine forestier nationale, la Loi n° 010-028 du 12 juillet 2010, déterminant les principes de gestion des ressources du domaine forestier national ainsi que ses différents décrets d’application, en son art. 32, conditionne toute exploitation des domaines forestiers de l’État et des collectivités à l’élaboration préalable de plan d’aménagement.

Pour l’officier des eaux et forêts, les dispositions de cette loi garantissent la durabilité des forêts. Cependant, force est de constater que l’élaboration et la mise en œuvre des plans d’aménagement et de gestion par les sociétés d’exploitation forestière ne garantissent pas la survie des forêts, prévient-il. Car, selon lui, la société est toujours amenée à faire un calcul économique. Ainsi, l’exploitation prend le dessus sur les actions d’aménagement forestier. Cet état de fait constitue un nouveau facteur de déforestation et de dégradation de nos forêts.

Les formations forestières naturelles du Mali sont estimées à près de 37 millions d’hectares dont seulement 21 millions assurent une réelle production forestière. Avec 107 forêts classées et périmètres de protection couvrant une superficie totale de 788.111 ha et 26 Aires protégées d’une superficie de 9.010.757ha, ces domaines classés représentent environ 7,89% de la superficie du pays, alors qu’il est requis au moins 15% de taux de classement du territoire national nécessaire à la stabilisation ou l’amélioration du régime hydrique et du climat ou pour la satisfaction des besoins du pays en bois ou tout autre produit forestier.

Les différentes campagnes de reboisement lancées depuis 1995 dénommées «Opération Mali vert» et la mise en œuvre du partenariat public-privé à travers les contrats d’amodiation qui consistent à céder la gestion d’une forêt classée à un particulier sur une période donnée, ont montré leur limite. C’est pourquoi, l’accomplissement de la mission du service exige la présence des agents forestiers sur le terrain, dans les forêts et les Aires protégées qui sont des zones à la fois difficiles et dangereuses. L’application rigoureuse des textes législatifs et règlementaires relatifs à la gestion des ressources forestières et de l’environnement permettra, sans doute, de dissuader les contrevenants, préconise Abdoulaye Tamboura.

La réalisation des actions de restauration des forêts sur le budget spécial d’investissement (BSI), notamment les reboisements, les redélimitations, les bornages des forêts classées et des Aires protégées et les immatriculations, doit être renforcée. Pour ce faire, la solution qui s’impose donc à l’État est d’élaborer et mettre en œuvre une Stratégie nationale pour la sortie progressive du bois comme source d’énergie domestique. Cela, en rapport avec les départements en charge de l’Énergie, des Mines et de l’Eau, et de l’Économie et des Finances. C’est à ce seul prix que nous pouvons espérer inverser la courbe, pour assurer un avenir meilleur aux générations futures.

Cheick Amadou DIA

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