
C’est une
redoutable tâche qui m’a été confiée par l’Académie des Sciences du Mali (ASM),
et l’Association des Historiens du Mali (ASHIMA), celle de témoigner dans ces
douloureuses circonstances à propos d’un frère, d’un ami, d’un collègue, avec
qui nous avons cheminé depuis l’adolescence et de porter à cette occasion leur
hommage. Notre première rencontre avec Drissa Diakité, « Badri »
comme nous l’appelions tous affectueusement s’est faite au lycée de
Badalabougou en 1971 alors que nous
étions en classe de terminale (LMT).
Après notre
admission au baccalauréat (session juin 1971) nous avons poursuivi nos études
supérieures en France, où nos chemins se sont momentanément séparés, lui étant
allé au nord à Caen (Normandie) et moi
dans le centre Est de la France à Clermont Ferrand (Auvergne). Nous ne nous
sommes cependant jamais « perdu de vue » d’autant que nous avions en
commun un certain nombre de référents académiques dans le milieu des
« africanistes » notamment ceux de l’université de Paris1 que
fréquentera Drissa Diakité après son séjour de Normandie.
Drissa Diakité fit donc ses premiers pas d’étudiant à l’Université de Caen où il obtint une licence d’enseignement en Histoire. Entré en Sorbonne (Université de Paris1) en 1975, il y prépara une maîtrise, puis un DEA en Histoire avant de décrocher un doctorat en lettres, option Histoire en 1980. Après un passage à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) où il obtint un Certificat de langues et civilisations mandingues, il retourna au Mali en 1982 et entama sa carrière d’enseignant- chercheur à l’école Normale supérieure (ENsup).
Et c’est là que nous nous sommes retrouvés jeunes enseignants au sein du département d’Histoire et Géographie de l’époque un véritable « bouillon de culture ».
1- L’enseignant
Le professeur Drissa Diakité affectionnait l’enseignement de l’histoire et tout particulièrement celui qui porte sur les grands empires soudanais notamment l’Empire du Mali dont il était l’un des meilleurs spécialistes. Fin pédagogue, il savait captiver son auditoire auquel il savait adapter la forme de son discours.
Très attaché à l’ancrage de ses étudiants dans leur milieu culturel, Drissa Diakité s’est aussi investi pleinement dans un enseignement d’initiation à l’étude des communautés ethnoculturelles du Mali faisant même intervenir des collègues anthropologues dans ses cours d’initiation pour expliciter à l’attention des étudiants les concepts de base utilisés pour la description et l’analyse de ces communautés, lesquels sont généralement empruntés à l’anthropologie.
Quant à ses enseignements d’Histoire portant sur les grands états soudanais du VIIIème au XVIème siècle ils se nourrissaient en partie de ses recherches de terrain qui étaient centrées sur l’exploitation des traditions orales mandingues comme sources d’Histoire à part entière, sources orales dont Drissa Diakité était l’un des meilleurs connaisseurs.
2-L’enseignant- Chercheur
Le professeur Drissa Diakité était un chercheur dans l’âme, et qui était allé à « bonne école ». Au cours de son séjour parisien il avait en effet bénéficié des enseignements et de l’encadrement d’historiens « africanistes » parmi les plus réputés tels, Jean Devisse, Yves Person qui a été son directeur de thèse, Jean Boulègue … pour ne citer que ceux-là. Très curieux et toujours en quête de savoir, il a fréquenté les grands centres de documentation parisiens et les laboratoires les plus à la pointe à l’époque en matière de recherches sur l’histoire de l’Afrique ancienne (dont celui de la rue Malher).
Mais Drissa
Diakité, c’était un caractère marqué. Indomptable au plan intellectuel, Drissa
Diakité tout en tirant le meilleur profit des enseignements de nos maîtres
« africanistes » n’en a jamais été prisonnier. Le choix du thème de
sa thèse de Doctorat a été la parfaite illustration de sa liberté d’esprit et
de son désir d’autonomie. Soucieux en effet d’apporter sa contribution à la
compréhension des luttes politiques qui ont conduit à la fondation de l’Empire
du Mali au XIIIème siècle par Soundiata Keita, Drissa Diakité a fait le pari d’utiliser
les traditions orales mandingues comme sources d’histoire à part entière,
concurremment avec les sources écrites arabes et européennes, considérées
pendant longtemps et encore aujourd’hui par certains « fétichistes »
de l’écriture comme étant les seules
fiables et dignes de foi.
C’était à n’en pas douter un pari risqué
de l’avis même de son Directeur de thèse Yves Person qui était lui-même
pourtant l’un des tous premiers spécialistes européens à avoir largement
exploité les traditions orales africaines (mandingues en l’occurrence) dans le
cadre de l’élaboration de sa thèse
monumentale consacrée à Samory Touré. Le professeur Drissa Diakité a pourtant
réussi malgré les nombreuses difficultés, à relever brillamment le défi en
produisant une thèse bâtie en très grande partie sur l’exploitation judicieuse
des sources orales dans leurs différentes versions tout en les croisant
opportunément avec les sources écrites (arabes et européennes) se rapportant à
la thématique. Ce travail original de Drissa Diakité a permis d’apporter un
nouvel éclairage sur les luttes politiques qui ont conduit à la fondation de
l’Empire du Mali notamment au sujet des deux grandes figures emblématiques de
ces luttes que furent Soumangourou Kanté et Soundiata Keita. C’est cette thèse
de doctorat enrichie de nombreux apports de la recherche accumulés au fil des
années, que l’auteur Drissa Diakité vient de publier (en 2022) sous le
titre : «le Mansaya» et la société mandingue- Les luttes de pouvoir au
Manden au XIIIème siècle.
Outre ses travaux d’érudition consacrés à l’Histoire de l’Empire du Mali qui était son «violon d’Ingre», le professeur Drissa Diakité était d’un éclectisme impressionnant en matière de recherches. En chercheur-citoyen il a traité de différents thèmes qui relèvent des préoccupations actuelles de ses concitoyens et dont les implications impactent le « vivre ensemble » (exemples : la crise de l’école malienne, la « dynamique sociale des mouvements confessionnels », les processus démocratiques au Mali et en Afrique...).
Dans cette même veine, il a entrepris d’importantes recherches sur l’ethnicité au Mali qui lui ont permis de contribuer aux côtés d’autres chercheurs de renom tels Elikia M’Bokolo, Gerard Prunier.J.P. Chrétien à un ouvrage collectif au titre évocateur « les ethnies ont une histoire » ouvrage devenu vite fameux (réédité) et dans lequel les auteurs procèdent à une analyse critique de la notion d’ethnie conduisant à sa déconstruction, et mettant en lumière les diverses manipulations politiciennes notamment dont fait l’objet ce concept en Afrique et ailleurs. Très imprégné de la culture Malinké et notamment celle de son terroir d’origine le Birko, l’historien Drissa Diakité a conduit de nombreuses enquêtes sur diverses pratiques culturelles malinkés dont certains des résultats ont fait l’objet de publications dans différentes revues scientifiques et littéraires notamment la revue « Notre librairie ».
3- Le Militant de la cause des langues nationales et le spécialiste de l’étude de ces langues et de leur utilisation effective dans le système éducatif.
Le professeur Drissa Diakité était très engagé dans la promotion des langues nationales maliennes et leur utilisation effective dans le système éducatif malien.
La formation qu’il a suivie à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris l’y avait préparé au plan des approches techniques et scientifiques. De 1995 à 2005 (10 ans) Drissa Diakité a été coordonnateur d’un projet de recherche mené dans le cadre de la coopération entre l’Université d’Oslo (Norvège) et l’école normale supérieure (E.N.sup) et intitulé justement « Recherches concernant l’introduction des langues nationales dans le système éducatif malien ». Le professeur Drissa Diakité a ainsi coproduit dans ce cadre avec sa collègue Norvégienne Ingse Statum et d’autres collaborateurs un livre de grammaire pour les langues Bamanankan et Fulfude, livre qui a été expérimenté dans quelques écoles maliennes. Le Pr Drissa Diakité se préoccupait toujours du devenir de cet ouvrage, fruit de longues années d’efforts et de sacrifices.
à la Faculté des lettres arts et sciences humaines (FLASH) dont il fut le premier Doyen, il avait convaincu le corps professoral à accepter l’introduction dans le cursus de formation des étudiants et cela dès la première année l’enseignement des langues nationales sous la forme d’une unité de valeur (UV) obligatoire avec cependant la possibilité pour chaque étudiant d’apprendre la langue de son choix.
4-L’intellectuel aux talents multiples
Au regard de la qualité de sa production scientifique, de ses engagements multiples et de la teneur de ses prises de positions, Badri était incontestablement un intellectuel accompli. Il n’était pas en effet «prisonnier» du présent et savait se mettre au-dessus des conjonctures pour faire, au travers de ses analyses, des projections en termes d’alternatives pour son pays. Le Pr Drissa Diakité avait un esprit créatif toujours en alerte. Il était écrivain, essayiste poète et prenait plaisir à déclamer ses poèmes en langue bamanankan. Il s’était essayé à différentes autres disciplines artistiques dont l’interprétation de rôles au cinéma. Il a aussi écrit différents projets de documentaires dont un au moins en collaboration avec le ministre et non moins célèbre cinéaste Cheick Oumar Cissoko. Sa production littéraire a été récompensée par différents prix.
Ainsi, son ouvrage intitulé « Kouyaté ou la force du serment » a obtenu le prix Massa Makan Diabaté à l’édition 2010 de la Rentrée littéraire du Mali. Son dernier ouvrage publié sous le titre : « le Mansaya et la société mandingue » précédemment évoqué a reçu le prix Moussa Sow à l’édition 2022 de la dernière Rentrée littéraire du Mali.
Outre ces prix littéraires, les multiples talents, les nombreuses réalisations et contributions du Pr Drissa Diakité lui ont valu plusieurs autres distinctions honorifiques. Il était notamment :
Chevalier de l’ordre national du Mali ;
Officier de l’ordre national du Mali. ;
Chevalier de l’ordre international des Palmes académiques du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) ;
Chevalier de l’ordre national des Palmes académiques de France ;
Officier de l’ordre national des Palmes académiques de France ;
5- Le concepteur et le bâtisseur
Le professeur Drissa Diakité était doué d’une impressionnante capacité de conception. Cette qualité lui a valu l’appréciation et l’estime de sa hiérarchie dans sa fonction de conseiller technique au département de l’éducation et de l’Enseignement supérieur, fonction plusieurs fois renouvelée (de 1991 à 1994 puis de 2007 à 2017) et ses compétences ont été mises à profit quelques temps après son départ à la retraite pour le suivi de l’exécution des travaux de construction des infrastructures universitaires de Kabala. Mais le professeur Diakité n’était pas un intellectuel qui se complaisait dans la cogitation. C’était un homme d’action qui savait faire preuve de pragmatisme quand il le fallait. C’est bien ce qui en faisait le bâtisseur qui s’est illustré à différentes occasions. Il a joué un rôle déterminant dans la construction des bâtiments qui abritaient l’ex-FLASH dont il a été le premier Doyen. Il en a défendu le budget avec pugnacité et c’est lui aussi qui a suggéré le lieu d’implantation des différents bâtiments de la dite faculté. Il s’emploiera tout au long de son mandat à développer les infrastructures de la FLASH et en embellir le cadre.
Mais c’est surtout au niveau de la Cité universitaire de Kabala que s’est illustré éloquemment, le rôle de bâtisseur de Drissa Diakité. Il a été en effet le président de la commission interministérielle de contrôle et de suivi du projet de construction des cités universitaires de Kabala sur la rive droite et de Kati Sirakoro sur la rive gauche. à Kabala, son engagement a été total. Il a effectué dans ce cadre de nombreux voyages en Chine pour des rencontres avec le partenaire. Le résultat, il est là, épatant : le campus de Kabala est actuellement l’une des plus belles infrastructures universitaires du genre de notre sous-région.
Un Homme de courage et de conviction
Ce que je retiens enfin de la personnalité de Badri, c’est son courage à toute épreuve.
Le professeur Drissa Diakité avait un courage moral et physique dont j’ai pu mesurer la force, notamment lors de la gestion que nous avons eu à faire ensemble des crises universitaires des années 2000 dans le cadre de nos fonctions respectives de doyen de la FLASH, et de recteur de l’Université de Bamako. Drissa Diakité imposait le respect, même aux plus récalcitrants de ses interlocuteurs de par sa droiture et son courage.
Aussi et c’est bien connu, le Pr Drissa Diakité avait le courage de ses opinions qu’il exprimait en tous lieux et en toutes circonstances quoi qu’il lui en coûte. Aussi, Badri avait un engagement politique fort et assumé. Ses amis politiques sauront mieux que moi évoquer cette dimension de l’homme.
Drissa Diakité était un exemple de résilience face à l’adversité. Ses soucis de santé ne l’ont pas empêché de mener à bien les projets qui lui tenaient à cœur. Il en a été ainsi de la publication de son tout dernier ouvrage. Il a réussi là ou beaucoup auraient abandonné. La persévérance de Badri forçait l’admiration.
Lors de notre dernière conversation alors qu’il était dans son lit de malade, le Pr Drissa Diakité se préoccupait grandement du sort de son prochain ouvrage à paraître dont le manuscrit m’a-t-il dit, a été déposé auprès de son éditeur en l’occurrence M. Ismaël Samba Traoré. Comme on le voit Badri aura été fidèle à lui-même jusqu’au bout. Cher collègue, je voudrais maintenant au nom de l’Académie des Sciences du Mali (ASM) et de l’Association des historiens du Mali(ASHIMA) te rendre les hommages qui te sont dus.
Hommage de l’Académie des Sciences du Mali (ASM) à l’académicien Pr Drissa Diakité
Le professeur Drissa Diakité était membre fondateur de l’Académie des Sciences du Mali (ASM). Il relevait du collège des Sciences Humaines Sociales Arts et Lettres. Il était président de la commission chargée du partenariat et à ce titre membre du bureau de l’ASM.
Pour l’ensemble de ton œuvre scientifique et en raison de ton engagement, de la qualité de ta participation à l’animation de notre Académie, et au nom du président de l’Académie des Sciences du Mali le Pr Abdel Karim Koumaré ici présent, du bureau de la dite Académie, reçois par ma modeste voix, l’hommage mérité ainsi que la reconnaissance éternelle de notre Académie à laquelle ton expertise fera désormais tant défaut.
Hommage de l’Association des Historiens du Mali (ASHIMA) au Pr Drissa Diakité
Le Pr Drissa Diakité était membre fondateur de l’Association des Historiens du Mali (ASHIMA) elle-même section de l’Association des historiens africains (AHA) dont notre pays abrite le siège. Le Pr Drissa Diakité était membre du bureau de l’ASHIMA et sa participation de qualité aux activités de notre association a largement contribué à son rayonnement. Aussi je peux témoigner ici en ma qualité de président de ladite Association que le Pr Drissa Diakité était l’un des meilleurs d’entre nous. De par la qualité de ses travaux académiques qui font référence et l’ensemble de ses contributions à la science historique, l’honneur me revient de porter ici l’hommage des historiens du Mali, celui de nos collègues africains et aussi de l’ensemble des historiens de l’Afrique. Cher collègue et cher ami, tu as largement mérité de notre corporation,
Cet hommage serait bien incomplet si nous n’y associons pas Madame Diakité Djénebou ta chère épouse rappelée à Dieu, il y a à peine une année et dont nous savons le rôle essentiel qu’elle tenait à tes côtés dans un «compagnonnage» exemplaire. Ensemble nous prions Allah le Tout-Puissant de vous couvrir de sa grâce éternelle et que vos âmes reposent en paix.
Nous renouvelons à l’endroit de la famille Diakité, les condoléances les plus attristées de l’ensemble des membres de l’Académie des Sciences du Mali (ASM) et celles de l’ensemble des membres de l’Association des historiens du Mali (ASHIMA), tout en l’assurant de notre sympathie ainsi que de notre solidarité. Notre affection va à nos enfants, Awa, Kalil et Sory Ibrahim.
Nous vous disons à tous les trois, que vous pouvez être fiers de votre Papa.
Cher collègue, cher Badri, en ce très triste moment de la séparation, je voudrais rappeler que toutes celles et tous ceux de l’Académie, de l’Association des historiens du Mali sont ici présents avec tous les autres, pour te témoigner leur amitié, cette amitié que tu savais tant cultiver et entretenir. Dors en paix Badri et que cette terre du Mali que tu chérissais tant te soit légère.
Amen !
Pr Doulaye
KONATé
pour le compte de l’Académie des Sciences du Mali (ASM) et de l’Association des historiens du Mali (ASHIMA)
Rédaction Lessor
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