Route du Poisson : Les perspectives sont bonnes

D’immenses fortunes ont été bâties sur la Route du Poisson

Publié mercredi 02 mars 2022 à 07:14
Route du Poisson : Les perspectives sont bonnes

Assis sur une chaise en paillote devant son magasin, Lahabib Téréta, observe les automobilistes et motocyclistes. Les ronronnements et klaxons incessants des engins semblent ne point le perturber. Vêtu d’un boubou en tissu bleu foncé, verre noir sur le nez, une chechia grise sur la tête, le septuagénaire s’extirpe de son oisiveté pour nous recevoir. Lahabib Téréta est un vendeur de poisson fumé à Ngolonina.

Une activité qu’il a apprise de ses parents pêcheurs de l’ethnie bozo depuis sa tendre enfance. Voyant la vente aux étrangers devenir de plus en plus lucrative, ils ont commencé le négoce. «Dans le temps, bien avant les indépendances, les Ghanéens venaient majoritairement s’approvisionner en poissons à Mopti.

Ensuite, quelques Nigérians, Togolais et Béninois étaient aperçus sur nos berges», soutient Lahabib Téréta. Ceux-ci venaient acheter du poisson fumé, séché et frais mais aussi des peaux de bœufs et moutons. C’est de cet itinéraire, très florissant et célèbre, d’où est venu le nom «La Route du Poisson».

La Route du Poisson traverse le Mali du Nord-ouest au sud-ouest depuis Mopti, où arrive le poisson pêché dans le Bani, en direction du Burkina Faso, du Niger, de la Côte d’Ivoire et du Ghana dans un premier temps. Ensuite, le Nigeria, le Togo et le Bénin s’y ajoutent.

Au fur et à mesure que les échanges se développèrent d’autres articles ont fait leur entrée sur la Route du Poisson, dont les produits industriels importés, les légumes (produits dans la zone de Koro et Bankass vers le Burkina Faso) et bien d’autres. 

La plupart de ceux qui ont pratiqué le commerce sur la Route du Poisson sont soit décédés, soit incapables de rendre des témoignages aujourd’hui, dû à leur vieil âge, regrette Lahabib Téréta.

«Le moment où la route était en plein essor, c’était mon père et ses pairs qui effectuaient le voyage jusqu’au Ghana bien avant l’indépendance du Mali. Suite à cela, mes frères aînés se sont installés au Ghana, ce qui a entraîné la formation d’une forte communauté malienne au Ghana surtout à Kumasi», relate-t-il

LA PEUR BLEUE DES FÉLINS- Mohamed Lamine Haïdara, est un opérateur économique malien vivant à Accra depuis 1998. La quarantaine, ce ressortissant de Gao, opérant dans le domaine des hydrocarbures, fait partie des chefs d’entreprise maliens à succès basé au Ghana. La Route du Poisson de par son essor a ouvert le chemin vers d’autres commerces.

«Mon grand-père et d’autres membres de la famille quittait Gao pour Kumasi avec leurs troupeaux de bœufs qu’ils vendaient une fois à destination. Les échanges à l’époque se faisaient par troc, c’était dans les années 1900», affirme Mohamed Lamine Haïdara.

Le périple était empreint de dangers et d’embûches. Les anciens se déplaçaient la nuit grâce aux étoiles, qui leur servaient de boussole d’après ce que son père lui racontait et se reposaient la journée. Et ceci durant 3 mois en moyenne.

De plus, les attaques d’animaux sauvages comme les lions et les hyènes étaient fréquentes. Afin d’éviter ces attaques, les voyageurs ont appris à décoder les traces laissés par ces derniers, surtout celui du lion.

Mais aussi, en cas de danger, tout le troupeau s’agitait ce qui leur indiquait le niveau du danger. Plus les traces de pas étaient fraiches, plus le danger était imminent et il fallait donc changer de trajectoire et éviter toute confrontation avec le ou les lions.

Quant aux autres prédateurs, ils ne craignaient pas la confrontation. «Les attaques de lions étaient fréquentes surtout au niveau de la bande d’Agacher, frontière actuelle Mali-Niger-Burkina Faso selon ce que nos parents nous racontaient», ajoute Mohamed Lamine.

Une fois au marché de Kejetia à Kumasi, un important carrefour commercial à l’époque, les voyageurs s’adonnaient à leur business. Dès que tout était vendu, certains continuaient sur Lomé pour prendre des marchandises et autres présents pour leur famille, d’autres par contre s’approvisionnent sur place. 

D’immenses fortunes ont été bâties sur la Route du Poissonparmi lesquelles on peut citer Asoma Banda, l’une des plus grandes fortunes du Ghana, Asantehene, le Roi des Akan basé à Kumasi et dans la diaspora malienne. Asoma Banda venait à pied dans les années 1955 à Mopti se procurer du bétail pour le business familial et les amenait au Ghana.

De ce commerce est né l’une des plus fructueuses entreprises africaines basée à Londres, Antrak Group of Companies, avec plus de 150 représentations dans le monde, plus de 500.000 emplois créés, et l’une des premières compagnies aériennes possédée par un Africain, Antrak Air. Aussi, selon Mohamed Lamine Haïdara, il y avait un Libano-Syrien nommé Bijaj qui faisait le commerce du poisson.

«Ce dernier a amassé une très grande fortune. Il avait des boutiques, magasins et des camions pour assurer le transport avec des centaines d’employés à Mopti, Koro, Bankass, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya et Kumasi», relate-t-il. Bijaj échangeait en grande partie avec les Yorubas du Nigeria. C’était durant le règne de feu Kwame N’Krumah.

 Quant à la diaspora du Soudan français, beaucoup finiront par se convertir à d’autres commerces. C’est le cas de Ousmane Bocoum, aujourd’hui âgé de 85 ans, résidant à Bamako. Assis dans sa chambre, les pieds croisés sur un tapis de prière, l’octogénaire est entouré de livres en arabe et écoute des notes vocales sur son Smartphone. Dans un coin de la chambre, un boîtier de wifi clignote.

«Mon père est originaire de Handjame dans le Cercle de Niafunké, c’est lui qui était installé au Ghana où je suis né en 1945. Il était dans le commerce du diamant et l’échange d’argent (bureau de change, les monnaies utilisées étaient le Fcfa et le pound britannique) sur le marché et certains de ses frères et cousins évoluaient dans le commerce de l’or» relate-t-il.

Aussi sa famille était propriétaire d’un grand cheptel dans le delta du fleuve Niger qu’il vendait. «De ce commerce, j’ai plus tard développé plusieurs autres business, dont l’ouverture d’une usine de matelas», ajoute-il.

«Comme nous, beaucoup de Maliens ont fait fortune grâce à la Route du Poisson jusqu’à l’avènement au pouvoir de Jerry John Rawlings. Les biens des étrangers étaient confisqués, les entreprises nationalisées, les comptes bancaires des étrangers bloqués. Suite à cela, beaucoup, dont moi-même, ont quitté le Ghana ruiné», raconte-il avec amertume.

UN IMPORTANT CENTRE DE PRODUCTION DE LEGUMES- «La Route du Poisson est aussi la route des légumes», soutient Abdoulaye Garba Maïga, président du Conseil régional de Mopti. En effet, selon ce dernier, en plus d’être la capitale du poisson, la Région de Mopti est un important centre de production de légumes et dessert le Burkina Faso, le Niger, la Côte d’Ivoire et le Ghana à travers Bandiagara et Koro. Une autre activité perturbée depuis le début de la crise.

Selon le directeur régional de la pêche de Mopti, Bokary Guindo les exportations et échanges ont drastiquement baissé ces dernières années. «En 2011-2012, seulement 1.050 kg et 5.600 kg de poissons frais et séchés, respectivement ont été exportés vers le Burkina Faso. En 2013, 80.556 kg de poissons fumés ont été exportés au Nigeria. En 2019, 286.241 kg de poissons fumés exportés au Nigeria aussi.

En 2020, seulement 4.235 kg ont été exportés au Nigeria», affirme Bokary Guindo. En 2021, avec le retour des militaires et la sécurisation de certains axes, les personnes commencent à reprendre les activités petit à petit. «Avec la présence des forces de sécurité sur la route, les activités reprendront s’il plait à Dieu», affirme-il confiant.

Fotigui Cissé est un vendeur de poissons basé à Mopti. Nous l’avons rencontré lors de son passage à Bamako. Le cinquantenaire voyageait sur la Côte d’Ivoire depuis 1992 où il se rendait dans les localités de Daloa, Bouaké et d’autres villages pour vendre. «Je vais maintenant au Burkina Faso à Ouagadougou et Ouahigouya où j’ai des clients fidèles», assure-il. Et d’ajouter qu’il est de plus en plus difficile de trouver du poisson au Mali, ce qui a entraîné une hausse des prix donc de moins en moins de bénéfices. Aujourd’hui, le secteur est saturé, on a l’impression que tout le monde vend du poisson aujourd’hui. Cela est dû au manque d’emplois, pense M. Cissé.

Fotigui Cissé explique que d’après ce que les anciens lui racontaient, la notion de transformation du poisson a été introduite par les Ghanéens qui en demandaient de grandes quantités, une chose méconnue des Maliens auparavant.

Le poisson frais, fumé et séché de Mopti est le plus prisé dans la sous-région. Malgré la baisse de la production du poisson dû au changement climatique et biens d’autres facteurs, le retour de la sécurité reste prometteur pour une activité économique pérenne pour Mopti et le Mali tout entier, estiment les différents acteurs opérant sur la route du poisson. 

Oumar SANKARE

Lire aussi : Agriculture : Des équipements made in Mali

Semoirs, charrues de labour, pièces de rechange des tracteurs sont fabriqués par nos artisans. La plupart de ces équipements sont vendus dans les zones de production comme Kita, Sikasso, Bougouni ou Koutiala. Certains fabricants arrivent aussi à écouler leurs produits dans des pays voisins.

Lire aussi : Convention groupée de la zone 4 de la JCI Mali : Pour l’excellence et le leadership

Placée sous le thème : « Jeunesse engagée : apprendre et innover pour relever les défis de l’employabilité des jeunes du Mali », la 16ᵉ convention groupée de la zone 4 (Z4) de la Jeune Chambre Internationale (JCI) du Mali s’est tenue samedi dernier, au Centre de formation des collectiv.

Lire aussi : Solidarité : Plus qu’une aide matérielle, une consolation pour les sinistrés

Ils sont 512 déplacés provenant des régions les plus affectées par la crise sécuritaire à trouver refuge au Centre Mabilé, au cœur de la capitale malienne. Bien qu'insuffisant, le soutien des acteurs humanitaires locaux et internationaux réconforte ces sinistrés Situé en Commune VI du D.

Lire aussi : Économie verte : Une initiative lancée pour orienter les politiques et créer des d’emplois

5.000 emplois verts potentiels à identifier, trois propositions de politiques publiques à rédiger et un guide sectoriel à produire. Ce sont quelques objectifs phares du projet «Initiative pour promouvoir l’économie verte et la création d’emplois verts au Mali», officiellement lancé, mer.

Lire aussi : Mines de Lithium de Bougouni : Prêtes pour l’inauguration

Le constat a été fait par le ministre des Mines, Amadou Keïta, qui a visité les lieux la semaine dernière.

Lire aussi : PDZSTA-KB : Le budget prévisionnel du ptba 2025 s’élève à plus de 3,251 milliards de Fcfa

La 5è session du comité de pilotage du Programme de développement de la zone spéciale de transformation agro-industrielle des Régions de Koulikoro et péri-urbaine de Bamako (PDZSTA-KB) s’est tenue, hier, dans les locaux du ministère de l’Agriculture..

Les articles de l'auteur

Transformation de la peau : Imatan SA veut atteindre le stade du finissage

Cet établissement industriel de transformation de peaux des moutons et de chèvres, exporte 100% de ses produits, principalement vers des industries en Inde, Chine, Espagne et au Pakistan. L’entreprise qui enregistre une production mensuelle de 150.000 à 200.000 peaux, souhaite bénéficier de financements pour investir dans des équipements modernes afin de diversifier ses marchés.

Par Oumar SANKARE


Publié jeudi 28 août 2025 à 08:21

Hausse du prix du ciment : Le BTP En berne

Le sac de ciment de 50 kg est actuellement vendu entre 6.000 et 6.500 Fcfa à Bamako. En cause, la désorganisation du transport et l’interdiction des camions hors gabarit sur les routes nationales, d’après certains acteurs du secteur. Une situation qui rallonge, selon eux, les délais de livraison et augmente les coûts. En conséquence, des chantiers sont à l’arrêt. Et des ouvriers, techniciens et promoteurs immobiliers en chômage technique.

Par Oumar SANKARE


Publié jeudi 14 août 2025 à 11:45

Mali : Remise officielle de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation au Chef de l'Etat

Le projet de la Charte nationale pour la paix et la réconciliation a été officiellement remis ce 22 juillet au Président de la Transition, le Général d’armée Assimi Goita, marquant une étape décisive dans le processus de paix au Mali..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 22 juillet 2025 à 21:24

Hippodrome : Qautre braqeurs désormais sous les verrous

Les éléments du commissariat de police du quartier Hippodrome en Commune II du District de Bamako, avec à leur tête le Commissaire divisionnaire Yamadou Goumané, ont récemment mis le grappin sur quatre individus. Il s’agit de H.K dit Amasékou (chef de gang), M.K, OK et M.Ko..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 15 juillet 2025 à 08:25

Fête nationale des États-Unis : L’ambassadeur Rachna Sachdeva Korohnen magnifie les bonnes relations entre Les peuples malien et américain

Le 4 juillet de chaque année, les Américains célèbrent les libertés fondamentales, la liberté d’expression et de culte, le droit de vote et bien d’autres..

Par Oumar SANKARE


Publié jeudi 10 juillet 2025 à 08:12

Théâtre : «Maa, i tè sabali, un appel à la responsabilité collective

Après la présentation du spectacle «Maa, i tè sabali» au Centre international de conférences de Bamako (CICB), c’était le tour du Complexe culturel BlonBa d’accueillir, le week-end dernier dans ses installations, le même spectacle..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 03 juin 2025 à 08:06

Championnat de basket-ball : Le CRBT entre dans l’histoire

48h après le sacre du Stade malien Dames face au Djoliba AC, battu 3-0, les Messieurs du Centre de référence de basket-ball de Tombouctou (CRBT) ont écrit une belle page de l’histoire du club, en remportant le titre de champion du Mali face au grand favori de la compétition, le Stade malien de Bamako..

Par Oumar SANKARE


Publié mardi 03 juin 2025 à 07:49

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner