L’ex-Premier
ministre Younoussi Touré est décédé le 17 octobre dernier
Younoussi est entré dans la vie active en tant que revendeur
de noix de cola à Sévaré. Il a fini par devenir un universitaire, cadre au
ministère du Plan, banquier émérite, Premier ministre, Député… ! Il a réussi à
la force de son cerveau.
Parti du fin fond d’un village enclavé sur les bords du lac
Takiti, dans le Cercle de Niafunké, il a pu venir à bout de bien d’obstacles
dans un optimisme déroutant. Suivons le long cours de la vie d’un enfant né «deux
hivernages après le déclenchement de la Grande guerre entre les Blancs», dans
une famille paysanne.
Niodougou, «le village» ou «le pays du mil» est son village.
Oui, un nom bien bambara dans un milieu sonrhai. Niodougou est un village
bambara fondé par des Bambaras. C’est ici que se déroule la tendre enfance de
l’auteur entre «Karey-guussuu», la mare aux caïmans», «Talka-bangu la mare des
pauvres», «Teeli-kuuku», la mare au long intestin», et «Hawjeno-bangu, la mare
de la vieille vache», cette perle de lacs qui font la richesse des Régions de
Mopti et Tombouctou.
C’est de ce biotope, que l’auteur est recruté pour l’école
coloniale de Niafunké. Le recrutement est une scène kafkaïenne, dans le
paisible visage subitement réuni autour du «message du commandant de cercle»
dont la substance est qu’il faut envoyer des enfants de Niodougou à l’école,
exactement une dizaine.
«Pour avoir la paix avec le commandant», Younoussi est
retenu dans une cohorte qui compte Ba Kob Ba koba Coulibaly, Pathé Nouhoun Touré,
Amadou Arsiké Cissé et Nouhoum Kiné Diarra, sous la férule d’un certain
Mahamane Alassane Haïdara, le futur homme politique qui sera de la lutte pour
l’indépendance du pays en 1960. «Il a une réelle influence sur tout le monde et
est obéi au doigt et à l’œil. à son arrivée sur les lieux, tout le monde se lève
et retient son souffle…» se souvient l’auteur (P69). L’écolier est studieux et
commence à nourrir de réelles ambitions académiques quand l’action d’un nouveau
directeur du nom de M. Chévreux contraria ses aspirations.
à l’époque, à la fin du cycle primaire, les écoliers
devaient passer par-dessus deux obstacles :«les bourses», un concours national
qui permettait aux heureux candidats de continuer au lycée, puis les études
secondaires et le Certificat d’études primaires, un examen qui pouvait donner
un strapontin subalterne dans l’administration coloniale.
Seul M. Chévreux pouvait décider de cette sélection. Et
cette année, il avait décidé que Younoussi et certains devaient limiter leurs
ambitions à Niafunké. Pour l’auteur, il n’y a point de doute ; le directeur l’a
écarté parce qu’il était un fils de pauvre. Victime de cette injustice,
Younoussi bande ses muscles et réussit brillamment au CEP. Cette année, dans
tout le cercle, il n’y aura que trois admis : Hamadoune Diallo, Boubacar Sada
Sy et Younoussi Touré. Nous sommes en 1953. Bien d’autres succès suivront.
Après un séjour à Niodougou, Younoussi débarque à Mopti, chez
sa grande sœur. Ici, il fera plusieurs boulots et finit par s’installer à «son
propre compte comme petit revendeur de noix de cola». C’est dans ce commerce
qu’il croise son ami d’enfance Ba Coulibaly, connu sous le sobriquet de «Chèvre».
Chèvre a pu continuer ses études à Bamako, à l’école des artisans soudanais où
l’on accède par concours, pour une durée de trois ans. Il encourage son
camarade Younoussi à faire acte de candidature.
Ce qui est fait et Younoussi
est admis et orienté dans la section dédiée à la «maroquinerie», un nom barbare
pour le gamin de Niodougou. Tout ça pour devenir un cordonnier, rétorque
l’auteur, à son ami en ces termes : « Tu connais bien les gens de chez nous,
s’ils apprennent que je suis devenu un apprenti cordonnier à Bamako, ce sera la
stupéfaction au village et surtout dans ma famille» ! Cette déconvenue ne le
bloque cependant pas. Il restera dans cette école pendant deux ans, de 1954 à
1956. Il apprend avec sérieux son futur métier en même temps qu’il suit des
cours de culture générale et les modules de perfectionnement dispensés par
l’Office de la main d’œuvre en cours du soir.
Fort de ce bagage, Younoussi prépare et se présente à différents
concours : l’entrée au Centre professionnel (pour les chemins de fer) de
Toukouto, l’école des moniteurs d’agriculture de Mpessoba et enfin comme
candidat libre au concours des « bourses » pour accéder au lycée. Il fait du
deux sur trois en étant admis aux «bourses» et à Mpessoba.
Nous sommes en 1956. Younoussi est orienté au Cours normal
de Sévaré, la ville où son aventure avait pris corps, il y a deux ans. Il va
pouvoir devenir un instituteur. à Sévaré, il côtoie de nouveaux condisciples
dont Ibrahim Bocar Ba (devenu banquier et ambassadeur), Pierre Diakité
(champion scolaire du Soudan en crosscountry qui sera chroniqueur sportif à
l’ORTM), Mamadou Kaloga (brillant footballeur et karatéka devenu journaliste),
Mamadou Bamou Touré (devenu ministre de l’éducation), Kari Dembélé (brillant
sociologue, Professeur à l’école normale supérieure et grand militant pour la démocratie),
Mamadou Sanogo (devenu un grand cadre des assurances), Mamadou Adèse Traoré
(devenu un brillant musicien), Bamoussa Touré, Ousmane Ba (devenu grand médecin
vétérinaire dans le privé et député) Marigbé Sacko, Noumoutié Sanogo, Oumar
Keita, Abdrahamane Niang, Sinaly Sidibé, Mahamar A. Touré...
Younoussi, lui, en plus de «bien étudier», s’illustre comme
un grand athlète sur la distance des 400 mètres relais, une discipline où il
fait équipe avec Ibrahim Bocar Ba, Sidiki Diabaté et Noumoutié Sanogo.
Il obtient le Brevet élémentaire et se présente avec succès à
l’école normale de Sébikotane au Sénégal, le sommet de l’enseignement normal
pour les Africains à l’époque. Il est admis dans cette prestigieuse école en même
temps que Ibrahim Bocar Ba, Kari Dembélé, Issaga Dembélé et quatre autres
condisciples…
Tous s’apprêtent à débarquer au Sénégal quand l’audacieuse Fédération
que le Sénégal et le Mali ont tenté de mettre sur pied, au nom de l’unité des
pays anciennement colonisés par la France éclate. Il faut de nouvelles
dispositions et voilà l’auteur et ses compères à l’école normale de Katibougou,
de 1960 à 1962, avec comme directeur Abdrahmane Baba Touré.
C’est là que Younoussi prépare et réussit avec succès la
première partie du baccalauréat de mathématiques. Du coup, il est transféré au
lycée Askia Mohamed pour la deuxième partie. Il passe avec brio cet examen et bénéficie
d’une bourse pour la France, à l’Université de Bordeaux.
Il ne rejoindra pas la
France cette année à cause de la bureaucratie. Le voilà qui met le cap sur
l’Université d’Abidjan, «enfin étudiant» ! Nous sommes en 1963. Deux ans après,
il obtient le «Diplôme d’études économiques générales», la jeune université
ivoirienne ne préparant pas à la licence. Il ira à l’Université de Dakar, pour
deux ans houleux perlés de mouvements de grève.
Il y rencontre un certain Boulkassoum Haïdara (devenu
pharmacien à Montpelier et aujourd’hui président du Conseil économique et
social). à Dakar, il est président de l’Association des «étudiants et
stagiaires maliens », donc aux avant-postes de la contestation.
Lui et ses
camarades seront rapatriés par train. Nous sommes en 1966/67. à la fin des
troubles, il passe sa licence en sciences économiques. D’autres se seraient
contentés de ce parchemin, mais Younoussi veut progresser. Il s’inscrit pour un
diplôme d’études supérieures en sciences économiques, à Clermont-Ferrand.
Ce rêve sera écourté tout net, parce que son passé de Dakar
le rattrape. Un beau matin, il est arrêté par la police pour «diffusion de
tract» à Bamako. Au lieu de rallier la France pour ses études, il est de facto «versé
dans la production». Nous sommes à l’heure de la planification de l’économie
avec le plan quinquennal qui devait propulser le développement harmonieux du développement
du pays. Au ministère du Plan où le jeune économiste est affecté, il
ne pleure pas sur son sort. Il travaille en même temps qu’il prépare à distance
ses études interrompues.
C’est dans la collecte des données, à la direction de la
statistique, pour la rédaction de son mémoire qu’il rencontre Alima Traoré,
fraichement diplômée de l’école internationale de statistiques de Yaoundé. Il
l’épouse le 27 décembre 1970, à San avec comme témoin «son frère et ami» Moussa
Amion Guindo, alors adjoint au commandant de cercle de la localité….
Voilà pour les grandes lignes du récit de cette vie ; un récit
qui, à bien d’égards, est un modèle pour la jeune génération. Tout y concourt,
aussi bien du point de vue du parcours intellectuel et social que pour
l’indispensable engagement au service de l’humain. Son attachement viscéral à
son village et à sa famille est partout présent. à tous les coups, il est à
Niodougou, son terroir qu’il apprécie si hautement qu’il le décrit avec
fascination.
On est tout simplement admiratif des photos qui ne sont pas
loin des clichés de Seydou Kéïta ; des images en noir et blanc qui sont la
marque d’un certain temps de vie : les lacs étendus, les terres arables, les
bergers et les pêcheurs, et même Younoussi à la barre d’un bateau !
Dans le style, il est très proche de Ferdinand Oyono dans
son livre éponyme, «Le vieux nègre et la médaille». La morsure de sa plume avec
une bonne dose d’humour est sans concession pour l’administration coloniale,
une grosse machine mise en place pour pressurer les pauvres. Cette fresque
coloniale est aussi celle qu’Amadou Hampâté Ba a pu restituer dans «L’étrange
destin de Wangrin».
On y découvre toute la cupidité des interprètes coloniaux,
les maillons d’une infernale, dont les fresques et la bouffonnerie ont laissé
leur marque dans l’administration publique avec l’incrustation de la lourdeur
bureaucratique et de la corruption. On peut voir défiler les images de son
grand frère Ali terrassant et rabrouant le garde-cercle Amadigao voulant réquisitionner
le cheval du père Syngoro, parce que l’envoyé du commandant doit avoir une
belle et fière monture. On peut aussi apprécier cette image sublime de
Younoussi revenu au village avec une grande délégation, à la faveur d’une
mission du plan quinquennal, pour saluer son père qu’il ne reverra plus !
Ce qui force l’admiration, c’est la candeur du récit, la
force du témoignage et la solide culture de l’écrivain qui, au-delà de son
parcours, a capitalisé les grands moments des grands spécialistes de la région,
comme l’attestent les références bibliographiques. Les témoignages des amis
d’enfance sont aussi instructifs et on lit avec émotion les souvenirs d’Ibrahim
Bocar Ba, de Mamby Touré, l’ami qu’il partage avec Ali Farka Touré, de Mamadou
Bamou Touré, d’Issaga Dembélé, de Mamadou Kaloga et d’Abdrahamane Niang. À leur
façon, ils ont tenté de restituer Younoussi dans ses valeurs et ses vertus,
soixante ans après leur connaissance à Sévaré !
Le récit est cependant incomplet. L’auteur pourra expliquer
pourquoi, il a délibérément écourté son récit à cette étape de sa vie, car
plusieurs autres aspects restent à découvrir, notamment sa carrière de
technocrate à la Banque centrale des états de l’Afrique de l’Ouest, à la
Primature, à l’Union économique et monétaire ouest africaine. Le lecteur attend
surtout de découvrir son engagement politique, au-delà du militantisme de sa
jeunesse panafricaniste.
Les quelques coquilles et les rares fautes n’altèrent en
rien la consistance de cette œuvre. À tout point de vue, ce livre est à découvrir.
Et le genre surtout, il doit faire des émules.
Dr Ibrahim MAÏGA
Rédaction Lessor
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