Arouna Keïta, secrétaire général de l’APDP : «Des individus se permettent d’être les porte-paroles de l’armée et ce n’est pas normal»

En marge de l’ouverture des panels des dix ans de l’Autorité de protection des données à caractère personnel du Mali (APDP), le secrétaire général de l’institution, Arouna Keïta, a répondu à nos questions sur la «protection de la vie privée sur les réseaux sociaux»

Publié mercredi 16 avril 2025 à 08:41
Arouna Keïta, secrétaire général de l’APDP : «Des individus se permettent d’être les porte-paroles de l’armée et ce n’est pas normal»

L’Essor : Parlez nous de la protection de la vie privée particulièrement celle des militaires sur les réseaux sociaux ?

 

Arouna Keïta : La vie privée comprend tous les éléments propres à l’intimité d’un individu. Dès lors que vous êtes amenés à naviguer sur internet, plus précisément sur les réseaux sociaux, vous devez faire attention à ne pas trop exposer votre vie privée. La protection de la vie privée sur les réseaux sociaux est un enjeu crucial, particulièrement pour les militaires, en raison des risques spécifiques liés à leur profession.

En s’exposant sur internet, ils doivent savoir qu’il y a des risques élevés pour eux et pour leur institution qu’est l’Armée. Les militaires peuvent être des cibles privilégiées pour des individus ou groupes malveillants. Partager des informations personnelles ou professionnelles sur les réseaux sociaux, peut mettre en péril leur sécurité et celle de leurs proches. Publier des photos, vidéos ou textes relatifs à des opérations militaires, peut compromettre la sécurité des missions.

Au niveau de l’APDP, nous conseillons aux militaires les mesures de prudence suivantes : éviter de partager des informations sensibles comme la localisation ou des détails sur des missions, être vigilant avec les applications tierces qui peuvent accéder à leurs données via les réseaux sociaux, informer leur entourage des risques et leurs proches encourager à observer les mêmes précautions.

Au niveau de l’Armée, il faut élaborer un guide de bonnes pratiques pour aider les militaires et leurs proches à utiliser les réseaux sociaux de manière sécurisée. Prendre des textes suffisamment dissuasifs pour éviter que de tierces personnes ne s’amusent à attenter à la discrétion de l’Armée sur internet.

Toutes les informations concernant l’Armée ne sont pas forcement des données personnelles, ce sont des données qui sont sensibles. N’importe qui ne doit pas se permettre de les manipuler dans la mesure où l’Armée a une direction de la communication à savoir la Dirpa.

Malheureusement, de plus en plus, des individus, pour des raisons que j’ignore, se permettent d’être les porte-paroles de l’Armée, ce n’est pas normal. Parce qu’une petite fuite de l’information de localisation, de géo localisation peut compromettre une opération ou une mission.

Donc, les gens doivent énormément faire attention. Non seulement les militaires eux-mêmes doivent s’assurer de ne pas publier sur leurs activités, leurs proches également et les citoyens doivent se préserver d’aller sur les terrains des militaires parce que tout ce qui est militaire est sensible.

L’Essor : Comment protéger les citoyens tout en accompagnant la transformation numérique de nos États ?

 

Arouna Keïta : Accompagner la transformation numérique tout en protégeant les citoyens nécessite une approche équilibrée entre innovation et protection. C’est un défi exigeant. Mais avec une stratégie bien pensée, cela peut améliorer la qualité de vie de tous. En effet, la transformation numérique des États offre des opportunités considérables, mais elle doit s’accompagner de mesures solides pour protéger les citoyens. Il y a quelques axes à explorer. Les gouvernements doivent établir ou renforcer des cadres juridiques pour garantir la confidentialité des données personnelles, en s’inspirant de régulations comme le règlement général sur la protection des données (RGPD) en Europe.

 Les citoyens doivent être informés des risques liés au numérique, tels que la cybersécurité et des moyens de se protéger. Les États doivent financer des infrastructures de sécurité robustes pour se prémunir contre les cyber-attaques qui pourraient compromettre les données des citoyens.

Il s’agit également de promouvoir l’inclusion numérique pour garantir que tous les citoyens, y compris les groupes marginalisés, bénéficient de la transformation numérique et les gouvernements doivent être transparents sur la manière dont les données des citoyens sont utilisées et s’engager à ne pas en abuser. Les cyber-menaces dépassent souvent les frontières. À cet égard, une coopération avec d’autres États est essentielle pour anticiper et répondre efficacement aux cyber menaces.

L’Essor : Comment faire respecter nos législations nationales face à des acteurs globaux du numérique, parfois peu soucieux des souverainetés locales ?

Arouna Keïta : Votre question est pertinente et complexe, surtout à l’ère numérique où les frontières virtuelles dépassent souvent les frontières physiques. Je pense que la solution réside dans un équilibre entre la fermeté législative, la diplomatie internationale et la collaboration proactive. Cela pourrait passer par les actions comme le renforcement des cadres législatifs nationaux. À l’échelle du continent, les gouvernements pourront élaborer des lois claires et adaptées qui s’appliquent aux acteurs numériques globaux opérant sur leur territoire. Nos textes devront nécessairement prévoir des mécanismes spécifiques comme les amendes, sanctions financières ou la suspension temporaire de services des géants du numérique.

 Autres actions, travailler avec d’autres pays pour établir des normes communes dans le domaine numérique à l’image de ce qu’a l’Union européenne (UE) avec le règlement général de la protection des données personnelles, renforcer la capacité des autorités nationales à comprendre et à suivre les activités des géants du numérique via des experts et des outils technologiques.

En raison de leur puissance économique, il faudra également penser à approcher directement les grandes entreprises du numérique pour établir des partenariats et des accords respectant les souverainetés locales. Et pour promouvoir l’éducation numérique, il faut sensibiliser la population et les entreprises locales aux enjeux liés à la souveraineté numérique pour encourager une consommation plus responsable des technologies.

L’Essor : Comment anticiper les mutations technologiques, de l’intelligence artificielle (IA) aux objets connectés tout en gardant l’humain au centre ?

 

Arouna Keïta : Anticiper les mutations technologiques tout en mettant l’humain au cœur de ces évolutions est un défi crucial, mais réalisable avec une approche équilibrée. Ceci demande de grands moyens et une volonté collective d’aller dans la même direction. Cela nous amènera à aller vers les actions suivantes : éducation et sensibilisation : investir dans l’éducation pour former les individus aux nouvelles technologies, non seulement sur le plan technique, mais aussi éthique, développer une culture numérique accessible pour tous afin d’éviter les écarts de compétence, intégrer des principes éthiques dès la conception des technologies.

Par exemple, dans le cadre de l’Intelligence artificielle (IA), privilégier la transparence, l’équité et le respect des données personnelles. Pour une conception centrée sur l’humain, il va falloir adopter des méthodologies comme le «design thinking» qui placent les besoins humains au centre du processus de création.

Les objets connectés par exemple doivent résoudre des problèmes réels pas seulement répondre à des innovations techniques. Pour anticiper les impacts sociaux et concevoir des solutions responsables, cela nécessite l’implication des experts d’horizons variés (sociologues, philosophes, technologues, etc.) et mettre en place des lois qui encadrent l’évolution technologique en protégeant les droits des individus, tout en permettant l’innovation.

Les institutions peuvent jouer un rôle clé en établissant des normes globales. Autre action, stimuler des débats publics et des échanges sur les implications de ces technologies. Les citoyens doivent être acteurs du changement et non de simples spectateurs.

L’Essor : Quelle régulation adopter aujourd’hui pour mieux garantir la sécurité des données de nos concitoyens ?

 

Arouna Keïta : Au Mali, la loi n° 2013-015, modifiée en 2017, régit la protection des données personnelles. Elle impose un consentement explicite avant toute collecte ou diffusion de données, garantissant ainsi un cadre juridique essentiel.

L’APDP joue un rôle clé dans l’application de cette loi et la sensibilisation des citoyens. Cependant, des défis subsistent, notamment en matière de sensibilisation et d’adaptation des réglementations face aux évolutions technologiques.

Propos recueillis par

Babba COULIBALY

Lire aussi : Discours haineux : un nouveau comité annoncé pour protéger les leaders religieux

Le Premier ministre, le Général de division Abdoulaye Maïga, a rencontré ce jeudi 4 décembre, à la Primature, les leaders religieux du pays afin de leur annoncer la mise en place prochaine d’un comité chargé de trouver des solutions aux propos haineux visant la religion et les guides relig.

Lire aussi : Cacao : l’ICCO revoit à la baisse le surplus de production pour la campagne 2024/2025

Après plus de trois années de déficit, le marché mondial du cacao semble amorcer un retournement au terme de la campagne 2024/2025. Les dernières estimations publiées par l’Organisation internationale du cacao (ICCO) confirment en effet un passage vers un léger excédent durant cette campag.

Lire aussi : Environnement : 143.433 foyers de feux de brousse au Mali entre 2016 et 2023

Ces feux de brousse ont dévasté près de 36 millions d’hectares, soit l’équivalent de plus d’un quart du territoire national. Dans une analyse, le spécialiste en géographie de l’environnement, Dr Adama Sissoko, dresse un état des lieux alarmant.

Lire aussi : Solidarité et lutte contre l’exclusion à Ségou : Bilan satisfaisant

Le préfet du Cercle de Ségou, Daouda Diarra, a présidé, mercredi dernier dans ses locaux, la cérémonie de clôture officielle des activités du Mois de la solidarité et de la lutte contre l’exclusion (MSLE). C’était en présence du maire de la Commune urbaine de Ségou, Nouhoun Diarra, .

Lire aussi : Chavirement d’une pirogue surchargée à Galoukoné : les eaux emportent 6 élèves

Dans le Cercle de Bafoulabé, la tragédie survenue, vendredi dernier, à Galoukoné à une vingtaine de kilomètres de son chef-lieu de commune (Mahina), a pris aux tripes parce que rarement un drame d’une telle ampleur n’aura secoué les habitants de la ville. La quiétude de la ville a été .

Lire aussi : Lancement du DDR-I à Mopti : 472 ex-combattants engagés dans une nouvelle voie

Le processus Démobilisation, Désarmement, Réinsertion et Intégration (DDR-I) a officiellement démarré, le samedi 29 novembre 2, dans la Région de Mopti. C’est au camp de jeunesse de Soufouroulaye, en présence des autorités administratives et militaires, que ce tournant majeur pour la stab.

Les articles de l'auteur

Crise du carburant : Bamako tourne la page

Il n’y a plus de longues files dans les stations-service de la capitale. Les clients sont servis à la minute près. La circulation est revenue à la normale et les Bamakois vaquent paisiblement à leurs occupations. C’est le constat fait hier par nos équipes de reportage.

Par Babba COULIBALY


Publié jeudi 27 novembre 2025 à 08:29

Approvisionnement du Mali en carburant : La solidarité agissante du Niger

Un convoi de 82 citernes d’hydrocarbures est arrivé samedi dernier à Bamako, en provenance de Niamey. Ce geste de solidarité, empreint de reconnaissance du Niger (pays membre de la Confédération des États du Sahel-AES), est une réponse diligente aux besoins de nos populations..

Par Babba COULIBALY


Publié lundi 24 novembre 2025 à 08:40

Développement industriel : L’opérateur Oumar Niangadou répond à l’appel du gouvernement

Son usine de production de détergent en poudre, située dans la zone aéroportuaire, a une capacité de production de 70.000 tonnes par an. Elle emploie 170 travailleurs permanents.

Par Babba COULIBALY


Publié mardi 11 novembre 2025 à 09:04

Organisation mondiale des Douanes pour l’Afrique occidentale et centrale : Le rendez-vous de Bamako sanctionné par une batterie de recommandations

Les rideaux sont tombés vendredi dernier sur la 16è Réunion conjointe annuelle des correspondants nationaux des bureaux régionaux de liaison de l’Organisation mondiale des douanes chargés du renseignement pour l’Afrique occidentale et centrale..

Par Babba COULIBALY


Publié lundi 10 novembre 2025 à 07:54

Secteur minier : Le secrétaire permanent du contenu local prend langue avec les acteurs

Le secrétaire permanent du contenu local, Alou Koïta a été présenté, vendredi dernier, aux acteurs du secteur minier, notamment les promoteurs, fournisseurs, sous-traitants et prestataires miniers..

Par Babba COULIBALY


Publié lundi 03 novembre 2025 à 10:57

Syndicalisme : Le Synabef outille ses militants

Le Bureau exécutif national du Syndicat national des banques, assurances, établissements financiers, microfinances, entreprises pétrolières et commerces du Mali (Synabef), en partenariat avec la Fondation Friedrich Ebert Stiftung (FES), forme depuis hier ses membres..

Par Babba COULIBALY


Publié vendredi 17 octobre 2025 à 12:37

Hydrocarbure : La DGCC, l’OMAP et la DNGM contrôlent les prix officiels et stocks physiques

«Il y a suffisamment de stock de carburant». Ces propos sont du directeur régional du commerce, de la consommation et de la concurrence du District de Bamako, Fousseyni Bamba, qui a conduit hier une mission de contrôle et de sensibilisation dans plusieurs stations-service de la capitale..

Par Babba COULIBALY


Publié vendredi 10 octobre 2025 à 11:55

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner