Colonel à la retraite Karamoko Niaré : « La diversification du partenariat est importante »

Dans cette interview, l’officier supérieur à la retraite porte un regard rétrospectif sur l’Armée malienne qui a célébré hier le 61è anniversaire de sa création. Aussi, propose-t-il ses recettes en vue de la construction d’un outil de défense répondant aux attentes du peuple malien

Publié vendredi 21 janvier 2022 à 10:06
Colonel à la retraite Karamoko Niaré : « La diversification du partenariat est importante »

L’Essor : L’Armée malienne commémore cette année ses 61 ans d’existence. Quel regard portez-vous sur notre outil de défense de sa création à nos jours ?

Karamoko Niaré :
C’est une question assez intéressante et très vaste. Effectivement, l’Armée malienne est l’enfant de l’indépendance du Mali. Parce qu’en 1960, notre pays a eu à prendre son indépendance. Dans un premier temps, c’était la Fédération du Mali avec le Sénégal qui a eu la vie qu’elle a connue. Il faut avouer qu’il y avait des hommes qui croyaient en eux-mêmes d’abord, mais aussi en leur pays. Ils ont pensé qu’il fallait créer une Armée nationale composée des citoyens maliens ayant servi dans l’armée coloniale.

Même n’étant pas nombreux, ils ont mis une armée en place sous l’égide du général Abdoulaye Soumaré qui a suivi Modibo Keïta, en son temps, pour rejoindre le Mali, suite à l’éclatement de la fédération qui unissait avec le Sénégal. Et Soumaré, que je considère comme un homme de valeur et visionnaire, a mis une structure en place. Visionnaire pourquoi ? Parce que quand la jeune nation malienne a pris son autonomie, tout de suite, on a essayé de nous créer des problèmes. Juste après l’indépendance, nous avons connu la première rébellion en 1963. J’avoue que le Mali étant très vaste avec des effectifs très réduits, il était très difficile de faire face à cet ensemble. Alors, imaginez un peu à cette époque, qu’un homme, après avoir été le compagnon de Modibo Keïta, ait voulu mettre l’Armée nationale en place et il en est devenu le chef d’état-major.

Alors, Abdoulaye Soumaré a eu l’idée de réquisitionner la compagnie nationale Air Mali et a mis ses moyens à la disposition de l’armée. Par une volonté politique, cela a été décidé. Et on amenait les éléments de Bamako jusqu’au Nord. Au niveau de l’armée de l’Air, on doit tirer le chapeau à ceux qui ont fait le sacrifice de quitter la vie civile pour venir dans l’armée par patriotisme. Parmi ceux-ci, il y a, entre autres, le général Cheick Diarra, Cheick Ballo, « Zaourou », Kaba Cheick, Drissa Traoré et  tant d’autres. Et là-bas, il y a eu des gens qui ont fait le sacrifice pour accepter, avec le concours des petits avions, de faire les sauts en parachute. Nous allons parler de Soungalo Samaké mais aussi de Harouna Sangaré et Chaka Koné. Il ne faut pas oublier des gens de cette trempe qui ont eu à façonner l’armée.

Donc, nous avions un embryon d’armée de fantassins et une petite section de l’armée de l’Air qui ont eu à faire face à la première rébellion malienne. Il y a également des hommes de valeur qu’il ne faut pas oublier au niveau de l’armée de Terre. Il s’agit du général Soumaré, du colonel Sékou Traoré, plus tard Koké Dembélé et tant d’autres.

L’armée de Terre était constituée de fantassins mais aussi des parachutistes. Au niveau de l’armée de Terre, s’il y a quelqu’un qui a marqué l’Armée malienne, de par son empreinte malgré les erreurs politiques que nous avons eues à connaitre, c’est Kissima Dounkara. Cet homme, de par sa vision, a eu à prendre auprès de l’Union soviétique l’armement et les équipements dont le Mali avait besoin. Quelqu’un a dit, en son temps, vu tous les moyens et armements qui sont passés par leur port pour le Mali, je ne citerai pas de pays, qu’il serait suicidaire de vouloir faire une guerre contre notre pays.

Le Mali est l’un des rares pays de la sous-région qui avaient ce qu’on appelle les « BM 21 » que d’autres appellent « orgues de Staline » au niveau de l’artillerie. Il a eu à posséder ces équipements depuis les temps immémoriaux. Pendant les différentes confrontations, l’artillerie malienne a eu à faire un travail formidable. Les actions qu’elle menait, étaient comme dirait l’autre, des frappes chirurgicales. C’était avec une telle précision sur l’ennemi que les gens se demandaient si ce n’était pas d’autres personnes qui faisaient ce travail à notre place. J’avoue que c’était les Maliens qui le  faisaient. À ce niveau, il faut parler d’un homme qui a marqué cette unité qui est Hamidou Mariko. Il s’est voué à cette unité.

C’est à partir de 1991 que nous avons progressivement connu une armée en déliquescence. Après la révolution, il faut avouer que les gens ont souhaité venir dans l’armée, c’était légitime. Est-ce qu’il y avait cette fibre patriotique qu’on a connue avant ? D’aucuns se disaient, on m’a fait des promesses : tu nous aides dans notre révolution et je te donne du travail. C’est cela la réalité de certaines choses. Ils ne sont pas venus pour l’amour de l’arme, mais ils avaient besoin du travail. Il fallait corriger au fur et à mesure cette situation qui a entamé progressivement la puissance de feu qu’on avait. Sans oublier la prise de décisions politiques, en négligeant un peu les moyens que le sacrifice du peuple malien a pu mettre à la disposition de l’armée. La flotte aérienne du Mali s’élevait à quelques 31 appareils.

Imaginez un peu ce qu’on peut faire avec une telle puissance de frappe. Parce qu’en notre temps, nous avions dit plus haut, plus vite, plus fort. C’était de cela que nous avions fait la devise de l’armée de l’Air. Et nous étions forts. Nous avons mené des actions sur le plan sous régional, avec une suprématie aérienne totale. Les uns et les autres sortaient pour faire leurs missions et revenaient l’esprit tranquille, parce qu’ils savaient qu’ils ne rencontraient aucun adversaire. L’armée malienne était puissante mais nous avons commis des erreurs. Quand un appareil reste au sol, ou même que des engins blindés ne font pas de missions et d’exercices, les flexibles, les raccords se dessèchent et se détériorent. Et on n’avait pas suffisamment les moyens pour remettre ces engins terrestres ou aériens en conditions. 

L’Essor : Selon vous, outre l’acquisition de nouveaux équipements notamment des aéronefs, qu’est-ce qu’il faut aujourd’hui pour bâtir une armée à hauteur de souhait et d’attente ?

 Karamoko Niaré :
Je dis, à ce niveau-là, que nous avons fait un dérapage en nous disant on donne du travail aux uns et aux autres parce qu’ils nous ont aidé. Non, l’armée c’est d’abord l’amour du métier des armes. Quand on n’aime pas quelque chose on y va, mais on ne le fait pas correctement. Dans l’ancienne génération, il faut avouer que tous ceux qui venaient pour le métier des armes, avaient l’amour de cela. Nous, nous avons fait les grandes écoles où on est sorti avec certaines personnes qui ont continué leurs cursus dans d’autres filières. Mais, on se respectait parce qu’on savait qui était qui à un moment donné.

Donc, si on ne revient pas aux fondamentaux, c’est-à-dire un recrutement à hauteur de souhait, passer par les voies et moyens idoines qui gèrent ce secteur, je crois qu’on ne s’en sortira pas. Il faut que d’abord les commissions de recrutement sillonnent le pays avec les quotas par région pour recruter les gens. Je crois qu’on n’est en train, progressivement, de revenir à cela ces derniers temps. Mais aussi surtout qu’on laisse les mains libres aux médecins. Quand quelqu’un est inapte, il ne faut pas l’accepter parce qu’il y a une pression. Il ne faut pas imposer cette personne qui n’est pas bonne sur le plan santé. On a connu des cas où le père qui était un peu puissant a imposé son fils. Mais à la première sortie sur le parcours dans la nature, ce bonhomme est tombé et il est mort. Qui est le fautif ? Il a tué son propre enfant. La formation et la discipline sont également indispensables pour bâtir une bonne armée. 

Pendant des années, on n’a négligé l’armée. Les autorités actuelles sont en train de faire un travail exceptionnel. Elles sont en train de diversifier aussi les partenaires du Mali. Cela est très important. En son temps, l’Union soviétique était la charnière de la formation des Maliens. Il y a également des officiers, notamment Mamadou Coulibaly qui ont fait leur formation aux États-Unis. Moi, je suis le fruit de formation de trois niveaux : France, Russie et Allemagne. Le Mali avait un partenariat avec tous ces pays-là qui nous respectaient. Parce qu’ils savaient que ce qu’ils donnaient était entre de bonnes mains et que c’était transmis correctement.
Aujourd’hui, il faut des équipements modernes. À ce jour, les autorités de la Transition en sont à six Mi-171. C’est à saluer.

L’Essor : En vue de renforcer la sécurité et lutter contre le terrorisme, les autorités de la Transition ont affiché leur volonté de diversifier les partenariats. Quelle appréciation faites-vous de cette initiative ?

Karamoko Niaré :
Dans toute la sous-région, franchement c’est l’Armée malienne seule qui avait la possibilité d’être formée en Union soviétique, en France, aux États-Unis d’Amérique, en Allemagne et en Chine. Je pense qu’il n’y a pas de partenariat plus diversifié que cela. Aujourd’hui, on veut nous mettre dans un carcan pour rester seulement avec un seul partenaire. C’est aberrant et il faut s’assumer par rapport à cela. On n’a pas besoin d’avoir peur de qui que ce soit si l’on agit dans l’intérêt supérieur de son pays. Les actions qu’on mène ne doivent pas nous faire reculer quand elles sont faites pour les Maliens. Je demanderai à ceux-là qui perturbent le Mali au Centre ou une autre partie du pays de faire très attention et qu’ils reviennent vite à de meilleurs sentiments. Car, nous ne reculerons devant aucun sacrifice pour pouvoir atteindre l’unité et la paix dans ce pays.

L’Essor : La refondation de la gouvernance passe nécessairement par le renforcement de la sécurité sur l’ensemble du territoire national. Pour y parvenir, la contribution des forces de défense et de sécurité est sans doute capitale ?

Karamoko Niaré :
 Il faut que l’on revienne aux fondamentaux. Après cela, les gens qui souhaitent venir dans l’armée pourront le faire et dans le respect des critères de recrutement. Si nous allons dans ce sens, on va s’en sortir. Aujourd’hui, le peuple malien est en train de vouloir faire des sacrifices en acceptant qu’on mette des équipements à la disposition de notre Armée nationale pour que nous puissions atteindre les objectifs qu’on s’est fixé. Maintenant, il n’a pas de mollesses permises, il faut foncer, et prendront le train ceux qui veulent le prendre. Ceux qui ne veulent pas le prendre, c’est leur choix, le Mali va quand même avancer. Cela est une certitude.

Propos recueillis par
Bembablin DOUMBIA

Bembablin DOUMBIA

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