Des membres de l’Initiative d’aide et de soutien aux veuves et aux orphelins (lASVO)
Après
le décès de son époux, la femme surtout celle qui a des enfants doit surmonter
des difficultés pour se mettre de nouveau en couple. Le mariage par héritage ou
lévirat qui consiste à épouser l’un des frères du défunt époux contribue à
aplanir ces difficultés. Mais, la pratique est en perte de vitesse dans les
familles à Bamako.
Drissa,
un trentenaire, a perdu son cousin germain, il y a environ trois ans. Ses
frères et lui refusent d’épouser la veuve du défunt sous prétexte que celle-ci
est une personne peu sociable. «Elle avait peu de considération à notre égard
quand nous étions des étudiants. Ce qui fait qu’elle ne bénéficie pas d’estime
ou de sympathie de notre part», justifie l’enseignant qui soutient que la bonne
conduite de la femme peut lui permettre d’épouser un frère de son défunt époux.
Selon le pédagogue, les contraintes économiques dissuadent également les
volontaires de pratiquer ce mariage par héritage.
Aussi, la pratique a tendance
à perdre sa valeur réelle du fait que nous avons quitté la grande famille pour
la famille nucléaire. «Si le défunt est nanti, la veuve dans le dessein de s’accaparer
des biens du mari, refuse d’épouser un frère du défunt. Généralement, ce sont
des actes qui se produisent et finissent dans les tribunaux», regrette-t-il.
Pour un défunt qui n’a pas assez de moyens, explique Oumar, la cohabitation
sera difficile.
Indiquant que la veuve sera obligée de chercher un époux
ailleurs. Dans ces foyers, précise-t-il, les enfants du défunt peuvent ne pas
bénéficier de toute l’attention ou de l’affection dont ils sont en droit
d’attendre du fait de leur statut d’orphelins. Le pédagogue souligne que
l’absence de la sociabilité, de l’amour entre les frères sont des obstacles à
la perpétuation de cette coutume.
Il
y a moins d’une année qu’Oumar a épousé la veuve de son cousin, maçon de
profession. La femme vivait en location avec ses trois enfants. Il explique que
ce type de mariage est une bonne chose si la veuve et le frère du défunt
acceptent volontairement leur union. Il argumente que les enfants seront à
l’abri de beaucoup de problèmes. Et de poursuivre que cette union consolide la
famille et garde l’arbre généalogique intact.
Selon
Aminata Tamina dont la fille a perdu son mari, le mariage dans la famille du
conjoint décédé présente des avantages pour les enfants du couple. La
sexagénaire indique que la mésentente entre les frères peut inciter une femme à
quitter la famille de son défunt mari. Dans
le cas où la veuve épouse un autre homme qui n’a pas d’affection pour les
mômes, ces derniers peuvent en être très affectés. Leur mère, dit-elle, peut
divorcer à cause de la mésentente avec son nouvel époux. La dame du troisième
âge appelle à l’union et l’entente dans les familles.
La présidente de
l’Initiative d’aide et de soutien aux veuves et aux orphélins (Iasvo) affirme
que le lévirat peut être dangereux pour la santé du futur époux si le défunt
était mort d’une maladie sexuellement contagieuse. Cependant, Massitan Traoré
indique que la pratique permet à la veuve de rester dans la famille de son
défunt époux pour élever tous ses enfants.
Le
chercheur en tradition orale mandingue, Nouhoum Cissé, explique que notre
tradition veut que le clan se réunisse après la viduité de la veuve ou «filiya»
en langue nationale bamanankan pour savoir si elle souhaite épouser l’un des
frères de son défunt mari. Il explique que la tradition n’impose pas à la veuve
de nouer cette relation.
Le traditionnaliste précise que certaines femmes peuvent accepter parce qu’elles veulent que leurs enfants restent dans la famille de leur père. Cette décision, dit-il, renforce le lien familial. Selon lui, la possibilité pour la veuve d’épouser son beau-frère est une pratique que notre coutume encourage à travers plusieurs initiatives visant à promouvoir la bonne relation entre la femme et le beau-frère. Nouhoum Cissé cite l’exemple de la présence de certains aliments préférés de la nouvelle mariée «nèguèlan» comme l’arachide dans le trousseau de la femme. Il affirme que cet aliment est destiné à ses beaux-frères «nimôgôni».
DÉPERDITION
DE LA COHÉSION- Le chercheur fait savoir que le geste vise à informer la belle-famille
sur l’aliment préféré de leur mariée et les dispositions à prendre par les
cadets du marié pour satisfaire cette envie de la nouvelle venue. «Quand elle
est dans le besoin ou a des confidences à faire, elle informe le frère cadet
qui le transmet à son époux», relève-t-il, avant d’assurer que le mariage ne se
fait pas au seul avantage du marié.
Le
chercheur en tradition orale mandingue regrette que l’individualisme entrave la
vie en communauté prônée par nos ancêtres. Il poursuit que les membres d’une
famille partagent de moins en moins les repas ensemble. Ce n’est plus facile,
soutient-il, d’épouser la femme d’un frère défunt. Le chercheur dénonce une
déperdition de l’affection et de la cohésion au sein des familles. Il pense que
la femme doit veiller à l’instauration de ces valeurs dans la famille. Selon
lui, la télévision, la radio, la démocratie, l’islam, le christianisme et la
culture occidentale ont apporté d’autres valeurs éducatives différentes de
celles de nos ancêtres.
Abdallah
Diallo, imam d’une mosquée à Kalaban Coura en Commune V du District de Bamako,
explique que l’islam accepte que la veuve épouse le cadet ou l’aîné de son
défunt époux. Selon lui, la pratique est avantageuse. Le
religieux argumente que la femme aura le cœur apaisé parce qu’elle est déjà
dans la famille. Pour lui, ses enfants auront la chance de grandir chez leur
père. «Si elle doit se remarier ailleurs, elle risque d’être séparée de ses
enfants et d’être victime de préjugés offensants», explique l’imam Diallo, avant
d’ajouter que la femme sera à l’abri de l’adultère.
Par ailleurs, Abdallah Diallo fait savoir
qu’après le décès de son conjoint, la femme doit observer la viduité d’une
durée de quatre mois et dix jours. L’objectif est de s’assurer qu’elle n’est
pas enceinte de son défunt époux. C’est pour éviter, justifie-t-il, que le sang
de cet enfant et celui d’un autre homme ne se mélangent. S’il s’avère que la
femme est enceinte, dira-t-il, la viduité prendra fin après l’accouchement.
Le
prêtre catholique du Diocèse de San, l’Abbé Kalifa Albert Déna précise que
selon l’église catholique, la veuve peut se remarier au-delà de six mois de
deuil. Ce mariage, souligne-t-il, peut se faire mais pas forcément avec un
parent de son défunt époux. «Elle se marie soit avec un veuf ou un autre qui ne
s’est pas encore marié. Si le parent de son défunt époux n’a pas de femme, elle
peut l’épouser», explique l’Abbé Kalifa Albert Déna.
Et de poursuivre que si la veuve veut respecter les normes ecclésiastiques, elle se marie avec qui elle veut. Mais, insiste-t-il, la condition est que cet homme ne doit pas être déjà marié. Dans le cas contraire, elle peut aussi décider de rester seule. Avant et après l’enterrement de son défunt mari, précise le prêtre catholique, il y a des groupes de prières qui accompagnent la famille sur une période indéterminée.
Mohamed DIAWARA
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