Orpaillage à Koflatié : Les écoles se vident

Dans cette localité du Cercle de Kangaba, ce sont 29.465 élèves qui ont abandonné l’école au niveau du premier cycle au profit des activités liées à l’orpaillage artisanal. Une réalité qui fait froid dans le dos

Publié lundi 24 mars 2025 à 07:32
Orpaillage à Koflatié : Les écoles se vident

Le manque de personnel enseignant accentue également la désertion des élèves vers les sites d’orpaillage

 

L’orpaillage artisanal à Koflatié, dans le Cercle de Kangaba, constitue un obstacle majeur à la scolarisation des enfants. Selon Hama Makanguilé, directeur de l’école fondamentale premier cycle, le taux d’abandon scolaire atteint en moyenne 65 % depuis 2003 pour les enfants âgés de 11 à 16 ans. Ce phénomène s’accentue particulièrement lorsque l’or est découvert dans la localité, incitant les enfants à délaisser les salles de classe pour les sites d’orpaillage. Les plus jeunes, incapables de manipuler les outils nécessaires, sont souvent les seuls à ne pas participer à cette activité.

 Malgré cela, le directeur demeure optimiste et mise sur la sensibilisation des parents et des élèves pour inverser cette tendance. Il précise que, bien que certains enfants s’absentent pendant plusieurs mois, beauc
oup finissent par reprendre souvent le chemin de l’école, où ils sont toujours accueillis à bras ouverts, tandis que d’autres ne reviennent jamais. L’accent est mis sur l’importance de l’éducation, en expliquant aux parents que la place de leurs enfants est à l’école et non sur les sites d’orpaillage. Si certains parents adhèrent à cette démarche et la soutiennent, d’autres demeurent indifférents.

Le directeur du Centre d’animation pédagogique (CAP) de Kangaba, Abdoulaye Koné, déplore les conséquences de l’orpaillage sur le système éducatif dans sa circonscription. Selon lui, ce phénomène constitue la principale cause d’abandon scolaire. Il considère cette situation comme une préoccupation majeure qui devrait mobiliser tous les acteurs de l’éducation afin d’interdire cette pratique, d’autant plus que les lois maliennes protègent les enfants et prohibent leur travail. Pour le directeur Koné, il est urgent de mettre en application ces textes législatifs pour empêcher l’accès des enfants aux sites d’orpaillage, qu’il identifie comme le premier facteur de déscolarisation à Kangaba.

Abdoulaye Koné pointe trois raisons principales qui poussent les élèves à délaisser les bancs de l’école au profit des sites d’orpaillage. La première est d’ordre financier et économique : l’école exige de nombreuses années d’efforts avant d’offrir des bénéfices concrets comme devenir fonctionnaire ou s’installer à son compte. En revanche, selon de nombreux enfants et parents, l’orpaillage procure des gains immédiats, perçus comme utiles à toute la famille.

Le deuxième facteur, explique le directeur, est lié à l’implication des femmes dans l’orpaillage, au détriment de leurs responsabilités familiales. Traditionnellement chargées de préparer les repas pour les enfants, ces mères se rendent dès l’aube sur les sites d’extraction. À midi, les enfants, laissés seuls et affamés, rejoignent leur mère pour se nourrir. Avec le temps, ils s’habituent à cet environnement, précise Abdoulaye Koné, et finissent par y prendre goût, parfois attirés par des vices qui les détournent définitivement de l’école.

La troisième cause de cette situation tient à la crise d’enseignants qui frappe la circonscription du Cap de Kangaba. Selon le directeur, ce manque de personnel accentue la désertion des élèves vers les sites d’orpaillage. À ce jour, le Cap fait face à une insuffisance d’enseignants et le besoin pour assurer le bon fonctionnement des classes du fondamental (1er et 2e cycles) est de 274 enseignants. Résultat : certains enfants se retrouvent sans professeur pendant plusieurs jours, une situation qui les pousse à rejoindre les sites d’extraction. Saisissant cette opportunité, Abdoulaye Koné adresse un appel pressant aux autorités pour un renfort en personnel enseignant afin de remédier à ce problème.

 D’un constat général, les statistiques sur les abandons et les exclusions scolaires dans la circonscription du Cap de Kangaba pour l’année scolaire 2023-2024, telles que rapportées par Muhamada Touré, conseiller à l’orientation au Cap de Kangaba, révèlent des failles profondes dans le système éducatif local. Ces chiffres traduisent une crise de rétention et d’inclusion qui touche différemment les garçons et les filles à divers stades de leur parcours scolaire. Au premier cycle, pas moins de 29.465 élèves ont abandonné leurs études, un nombre alarmant qui met en lumière une déperdition scolaire significative dès les premières années d’éducation. Parmi eux, 16.316 étaient des garçons, représentant un taux d’abandon de 55 %.


Ce déséquilibre suggère que les garçons s
ont davantage susceptibles de quitter l’école à ce niveau, sous la pression de facteurs socio-économiques comme le travail précoce. Parallèlement, 474 élèves ont été exclus dans ce cycle, avec une légère prédominance masculine : 251 garçons (53 %) contre 223 filles (47 %). Cette répartition relativement équilibrée indique que les exclusions touchent les deux genres, bien que les garçons soient légèrement plus concernés.

Au second cycle, le nombre d’abandons chute à 6.256 élèves, ce qui pourrait refléter une diminution du nombre total d’élèves poursuivant leurs études. Cependant, la proportion de garçons augmente sensiblement, avec 3.837 cas (61 %), contre 2.419 filles (39 %). Concernant les exclusions, elles restent stables avec 497 cas, mais la part des garçons grimpe à 307 (62 %), contre 196 filles (38 %), accentuant l’écart observé au premier cycle.

Amara Ben Yaya TRAORÉ


*******


Regards croisés des parents sur le phénomène


Dans le village de koflatié, les enfants semblent avoir mis une croix sur l’école. La quête du métal précieux leur a volé leur enfance. Pourtant, la situation n’indigne personne et semble même être bien tolérée par les parents. 


Boubacar Camara, réparateur de motos près de la grande mosquée de Koflatié, estime n’avoir d’autre choix que d’envoyer son fils travailler sur le site d’orpaillage pour gagner un peu d’argent. Occupé à réparer une moto Djakarta, son képi porté à l’envers, il explique que son activité ne rapporte pas assez et que son fils, peu brillant à l’école, n’y trouve aucun intérêt. «Moi, je suis d’accord pour que mon fils aille travailler sur le site. L’école, c’est bien, mais ça ne remplit pas le ventre tout de suite.


Avec l
’argent qu’il ramène, on peut acheter du mil et payer les médicaments pour sa petite sœur» renchérit le réparateur. Pour lui, mieux vaut que ce dernier contribue aux frais familiaux plutôt que de perdre son temps en classe. Aminata Diarra, 48 ans, ménagère et veuve, livre une réalité poignante. Assise près de sa petite table où s’entassent des sachets d’arachides, une cicatrice barrant son visage buriné par le soleil, elle raconte comment, depuis la mort de son mari il y a cinq ans, elle doit subvenir seule aux besoins de ses six enfants. Cette précarité a conduit deux d’entre eux, l’un en 6e année et l’autre en 8e année, à abandonner l’école pour rejoindre le site d’orpaillage. Poussés par le désir d’aider leur famille, ils ont troqué leurs cahiers contre des pioches.


Aminata confie, le regard lourd, combien ce fardeau financier pèse sur ses épaules. «Mes deux garçons travaillent sur le site d’orpaillage, et je n’y vois pas de mal. Ils rapportent un peu d’argent pour 
les besoins de la maison. L’école ne donne pas ça, et moi, toute seule, je ne peux pas tout assumer», déclare-t-elle d’un ton grave et résigné. Makandian Camara, jardinier dans la cinquantaine, offre une perspective plus optimiste. Debout au milieu de ses plants de choux et de salades, un arrosoir rouillé à la main et les pieds enfoncés dans la boue rougeâtre, il explique que trois de ses enfants ont quitté les bancs de l’école pour les sites d’orpaillage. Pour lui, ce choix a porté fruit parce que grâce à leurs gains, ils couvrent désormais toutes les dépenses familiales. Il sourit même en racontant que l’un d’eux lui a offert une moto d’une valeur de 600.000 Fcfa.


Convaincu que l’école n’aurait jamais permis un tel résultat, Makandian voit dans l’orpaillag
e une opportunité tangible. «Mes enfants travaillent sur le site, et grâce à eux, on a réparé notre toit l’an dernier. Peut-être qu’un jour, ils trouveront une grosse pépite et qu’on échappera à la misère. Je préfère ça à les voir assis en classe à rêver sans rien gagner», affirme-t-il avec assurance. Souleymane Doumbia, 54 ans, instituteur aujourd’hui à la retraite, offre une perspective tranchée sur la situation. Vêtu de son grand boubou blanc, prêt à se rendre à la mosquée pour la prière du vendredi, il s’exprime avec une conviction teintée d’amertume.


Pour lui, envoyer les enfants travailler sur les sites d’orpaillage équivaut à sacrifier leur avenir. Fort de ses années d’expérience dans l’enseignement, il martèle que seule l’éducation peut leur offrir d
es opportunités durables. «Sur ces sites, ils inhalent des produits toxiques comme le mercure et abandonnent leurs études pour courir après un gain illusoire et éphémère. Les parents qui agissent ainsi manquent cruellement de vision», conclut-il, le ton ferme et le regard empreint de regret.

Comme lui, Amadou Guindo, ancien immigré, se montre lui aussi profondément sceptique face à ce phénomène. Sur cette question, sa position est sans appel : jamais il ne permettra à ses enfants de travailler sur un site d’orpaillage. «J’ai vu des jeunes rentrer brisés, les poumons détruits par la poussière, ou pire, mutilés dans des éboulements», raconte-t-il avec une pointe de douleur dans la voix. Pour Amadou, l’école reste la seule voie vers un avenir solide et stable. «Si on les laisse partir là-bas, ils abandonnent tout pour finalement revenir les mains vides. Moi, je veux qu’ils apprennent un vrai métier, pas qu’ils jouent leur vie pour quelques grammes d’or», insiste-t-il, sa détermination inébranlable.


Amara Ben Yaya TRAORÉ

Rédaction Lessor

Lire aussi : Fonctions publiques au Mali : Les agents non identifiés seront radiés des effectifs après le délai de grâce

Les agents qui ne se sont pas présentés lors des opérations d'identification biométrique ont un délai de grâce de trois mois, allant du 8 septembre au 8 décembre 2025 pour régulariser leur situation administrative.

Lire aussi : Incivisme : L’artiste Black M. interpelé

De son vrai nom, Alpha Diallo, le rappeur Franco-guinéen, connu sous le nom d'artiste « Black M », en séjour en Côte d'Ivoire et se trouvant dans une situation de conduite imprudente, a été interpellé..

Lire aussi : Insolite: Neymar désigné hériter d'un autre homme que son père

Nouvelle incroyable au Brésil concernant Neymar Jr. En effet, le footballeur a été désigné hériter d'un milliardaire en dollars autre que son père. Le testament a été rédigé à son nom..

Lire aussi : Goundam : Le geste philanthropique d’El Hadj Alphamoye Haîdara

Une habitante de la ville de Goundam a vu sa maison effondrer suite aux multiples érosions et intempéries survenues au cours de la saison d’hivernage..

Lire aussi : Kayes : EDM-SA rétablit l’électricité dans le secteur des logements sociaux

Après avoir passé trois nuits dans le noir, certaines familles des logements sociaux de Kayes et ses alentours ont enfin poussé un ouf de soulagement suite au rétablissement de l’électricité dans leur secteur. Rappelons que certaines concessions de la cité ATT Bougou (logements sociaux) et .

Lire aussi : Mopti : Plusieurs points à l’ordre du jour de la 2è session ordinaire du CROCSAD 2025

La salle de conférence du gouvernorat de Mopti a abrité du lundi au mardi dernier les travaux de la 2è session ordinaire du Comité régional d’orientation, de coordination et de suivi des actions de développement (Crocsad) de la région au titre de l’année 2025..

Les articles de l'auteur

Hôpital militaire de Banankoro : Le chantier avance

Le ministre de la Défense et des Anciens combattants, le Général de corps d’armée Sadio Camara et sa collègue chargée de la Santé et du Développement social, le médecin-Colonel Assa Badiallo Touré, se sont rendus hier sur le site pour constater l’évolution des travaux.

Par Rédaction Lessor


Publié jeudi 04 septembre 2025 à 08:14

Enseignement supérieur : Restitution des résultats de l’évaluation du système de recherche en sciences sociales au Mali

-.

Par Rédaction Lessor


Publié mercredi 03 septembre 2025 à 08:05

Programme «Incubateur de talents Maliden Kura» : Le ministre Daffé reçoit les bénéficiaires de la première cohorte

La salle de conférence du ministère de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme a accueilli, le mardi 2 septembre, une rencontre entre le ministre Mamou Daffé et les lauréats du programme «Incubateur de talents Maliden Kura-ITM», un dispositif innovant inscrit dans le cadre du projet Culture Mali.

Par Rédaction Lessor


Publié mercredi 03 septembre 2025 à 07:58

Formation professionnelle : La ministre Oumou Sall Seck remet 20 machines à coudre à l’ARDCT

La ministre de l’Entrepreneuriat national, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, Mme Oumou Sall Seck, a procédé, le vendredi 29 août, à la remise de 20 machines à coudre à l’Association des ressortissants et sympathisants pour le développement du Cercle de Tombouctou (ARDCT), conduite par son secrétaire exécutif, l’ambassadeur Mahmoud Mohamed Arby..

Par Rédaction Lessor


Publié mercredi 03 septembre 2025 à 07:20

Affaires religieuses : Le ministre Koné accorde une audience au nouvel ambassadeur du Mali en Égypte

Le ministre des Affaires religieuses, du Culte et des Coutumes, Dr Mahamadou Koné, a accordé hier une audience à Samba Alhamdoulillah Baby, nouvel ambassadeur du Mali en République arabe d’Égypte..

Par Rédaction Lessor


Publié mardi 02 septembre 2025 à 07:15

Assep : Le nouveau bureau reçu par le ministre Mossa Ag Attager

Le ministre des Maliens établis à l’Extérieur et de l’Intégration africaine, Mossa Ag Attager, a reçu en audience le lundi 1er septembre, le nouveau bureau de l’Association des éditeurs de la presse privée du Mali (Assep), conduit par son président, Boubacar Yalcoye..

Par Rédaction Lessor


Publié mardi 02 septembre 2025 à 07:10

Biennale artistique et culturelle, Tombouctou 2025 : Koulikoro n’entend pas faire de la figuration

Le gouverneur de la Région de Koulikoro, le Colonel Lamine Kapory Sanogo, a présidé, vendredi dernier dans la salle de conférence du gouvernorat, une réunion sur les préparatifs de la prochaine Biennale artistique et culturelle qui doit se tenir en décembre à Tombouctou..

Par Rédaction Lessor


Publié lundi 01 septembre 2025 à 08:50

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner