#Mali : Dr Bakabigny Keïta : «Les élections n’ont pas empêché le pays de se retrouver dans une situation sécuritaire catastrophique indescriptible»

Dans cet entretien, l’enseignant-chercheur, chargé des questions politiques et sociales à l’école normale supérieure de Bamako, aborde les questions d’actualité comme la suspension des activités des partis et celles des associations à caractère politique. Mais aussi l’organisation des élections et le Dialogue inter-Maliens

Publié mardi 16 avril 2024 à 07:41
#Mali : Dr Bakabigny Keïta : «Les élections n’ont pas empêché le pays de se retrouver dans une situation sécuritaire catastrophique indescriptible»

L’enseignant-chercheur a rappelé que les autorités de la Transition avaient entrepris d’engager avec les partis, les regroupements de partis, les associations et mouvements politiques, à travers le Premier ministre, des échanges en vue de la réussite du Dialogue inter-Maliens pour la paix et la réconciliation. Si les uns ont pris la main tendue du chef du gouvernement, les autres ont préféré boycotter, a précisé l’expert des questions politiques et sociales. Ceux qui ont refusé de prendre la main de Dr Choguel Kokalla Maïga, a-t-il poursuivi, se sont résolus à mettre un terme à la Transition dans un communiqué qu’ils ont rendu public.

«Finalement, en réaction contre de tels agissements et prémunir des développements inattendus, le gouvernement a pris la décision de suspendre les activités des partis,  des mouvements et associations à caractère politique, le mercredi 10 avril dernier, pour des fins d’ordre public», a insisté Bakabigny Keïta, affirmant que depuis, un débat est ouvert autour des questions multiples et variées. Qu’en est-il de la réaction des acteurs de la classe politique ? L’analyste estime que «certains partis et associations ont favorablement accueilli la décision». En revanche, d’autres, a-t-il dit, après plus de trois années consécutives de rupture de l’ordre constitutionnel, ont pris l’initiative de siffler la fin de la Transition. Dans ce sillage, ils pensent qu’une Transition par définition est un pouvoir politique de mission d’une durée limitée dans le temps et dont la gestion doit être partagée entre les différentes forces vives du pays.  Ce pouvoir, dans leur entendement, ne saurait résoudre tous les maux de la société.

 L’enseignant-chercheur rétorque  que  même dans les conditions normales, aucun régime n’a réussi à traiter tous les problèmes des hommes. Tout de même, a-t-il indiqué, ces formations politiques craignent la liquidation des libertés individuelles et collectives. Idem pour la préservation de l’ordre républicain et démocratique dangereusement menacé par des exils forcés, des emprisonnements, des décisions politiques illégales et illégitimes. Ces acteurs politiques jugent inacceptable la décision de suspension de leurs activités et appellent les autorités de la Transition à la reconsidérer, a relevé Bakabigny Keïta.


Selon lui, il s’agit de mettre plus de pression sur le gouvernement. Ce faisant, ils instruisent les structures de leurs partis et associations à boycotter le Dialogue inter-Maliens.  Pour éviter, a développé l’enseignant de l’école normale supérieure, un retour de la dictature après des années de démocratie ou de pluralisme politique. «Pour la classe politique, la mission fondamentale d’un gouvernement de Transition n’est pas de traiter les dossiers brûlants, mais d’organiser les élections en vue d’’un retour à l’ordre constitutionnel», a souligné Dr Keïta.

 

PRÉSERVATION DES ACQUIS- À la question de savoir si cette décision de suspension est opportune, l’expert a affirmé que pour ceux qui sont épris de souveraineté, les élections doivent attendre. D’après lui, la priorité de notre pays réside dans la préservation des acquis de la Transition et la poursuite du processus de refondation, entamé depuis sa rectification. C’est pourquoi, a-t-il fait remarquer, cette tendance salue la décision de suspension. «C’est le fait de ne l’avoir pas pris à temps réel, au moment où notre armée était lancée dans sa mission de reconquête de Kidal, où le «bateau Tombouctou» a été attaqué par les forces du mal», a regretté Bakabigny Keïta.

Indiquant que c’est une décision qui a été prise en faveur de l’unité et de la stabilité de notre pays. Avant d’ajouter qu’elle est prise pour tous les citoyens qu’ils soient partisans ou opposants de la Transition. L’enseignant a soutenu que le gouvernement, depuis les rencontres du Premier ministre avec les acteurs de la classe politique et de la société civile jusqu’à la suspension, semble n’avoir pas été compris. «Au lieu de voir en ces démarches comme une main tendue, d’abord en douce et ensuite par la force en vue de l’unité et de la cohésion de tous, ils ont vu de la manipulation et de la restriction aux libertés démocratiques», a déploré le spécialiste des questions politiques et sociales.

 La conséquence de cette très mauvaise lecture, a argumenté Dr Bakabigny Keïta, c’est de s’attirer davantage la haine des populations maliennes éprises de souveraineté en dépit des conjonctures économiques difficiles. S’exprimant sur la logique de souveraineté contre celle de la démocratie, notre interlocuteur dira qu’il existe des critiques très sévères contre la démocratie. Ces critiques nous viennent des partisans de la logique de la souveraineté. Rappelant que ces critiques ne datent pas d’aujourd’hui. Elles nous viennent des adversaires comme des partisans d’hier et d’aujourd’hui.

«La cible de la logique de la souveraineté à l’œuvre dans ce texte, ce sont les élections», a fait observer le professeur. Affirmant que partisans et adversaires s’accordent sur le fait que l’élection n’est pas démocratique.  Il a fait savoir que parmi les anciens réputés être des adversaires de la démocratie, sur le plan théorique, contestant la vertu démocratique de l’élection, figurent Platon et Aristote à lire respectivement dans La République et La Politique. Assurant que ces écrivains n’ont jamais considéré l’élection comme un dispositif politique démocratique.

«Je sais que certains pourraient mobiliser des cas comme celui du Sénégal pour invalider ma thèse. Il est vrai que le corps électoral, dans des circonstances déterminées de l’histoire est capable de se mouvoir comme un corps révolutionnaire. Il est à noter cependant que ces cas sont très rares. Pour moi, ce n’est pas la démocratie qui a porté au pouvoir l’équipe dirigeante actuelle. C’est plutôt le peuple sénégalais dans sa colère contre le système néocolonial français qui a porté au pouvoir Diomaye et Sonko», a soutenu l’expert des questions politiques et sociales.

 

Démocratie des Anciens grecs- À l’entendre, ce qui est démocratique et qui est opposé à l’élection, c’est le tirage au sort que les modernes ont expulsé du jeu politique au prétexte qu’il serait inadapté à la taille trop importante de la superficie et de la population des États. «À défaut de pouvoir l’appliquer aux institutions dont la mise en place nécessite la mobilisation de tous les citoyens, on peut l’utiliser dans la désignation des institutions et des services publics et privés dont la mise en place ne concerne qu’un très petit nombre de citoyens», a souligné Bakabigny Keïta.


Ce dernier révèle que des Anciens grecs qui ont pratiqué la démocratie, chez tous les historiens de la philosophie politique d’une très grande réputation, l’élection a tout le temps été considérée comme un moyen qui vise à mettre en place des élites alors que le tirage au sort a été vu comme un dispositif politique qui travaille à installer un pouvoir démocratique parce qu’accessible à n’importe qui.

Pour revenir au cas du Mali, il a évoqué que les souverainistes reprochent aux partisans de la démocratie le fait que les élections n’ont pas empêché le pays de se retrouver dans une situation sécuritaire catastrophique indescriptible. Pour eux, elles en sont même directement ou indirectement la cause. «La démocratie a détruit l’Armée, l’école, la santé. Elle a cultivé et érigé en valeur l’impunité et la corruption», a dénoncé l’enseignant-chercheur.

 Concernant la durée de la Transition chantée par les partisans de la démocratie, pour les souverainistes le peuple souverain du Mali à travers les Assises nationales pour la Refondation (ANR) a déjà tranché ce débat en la fixant entre six mois et 5 ans. En clair, pour les souverainistes, les ANR restent le référentiel politique.


«L’élection n’est pas démocratique, cela revient à dire qu’elle est contre l’égalité et donc contre la paix et la cohésion sociale. Autrement dit, c’est dire qu’elle travaille à mettre en place une société aristocratique, oligarchique et donc forcément une société de conflictualité, non pas politique, mais une société de conflictualité guerrière. Ce qu’il convient de noter, c’est que l’élection, en plus d’être un dispositif politique au service des élites, est par essence conflictuelle», a renchéri Dr Keïta.

Il convient d’indiquer qu’en lieu et place de ce sens critique de l’élection légué par les Anciens, a estimé le chercheur, il existe dans les sociétés dites modernes un véritable contresens et donc un travestissement du sens de l’élection. «Il n’est pas propre aux sociétés contemporaines africaines. Il est à l’œuvre dans toutes les sociétés démocratiques modernes. Force est de reconnaître, une telle illusion démocratique fait plus de ravage dans les nôtres qui sont en quête de souveraineté. Plus que dans les nations souveraines», a reconnu notre interlocuteur. Qui en plus soutient que dans les sociétés en lutte pour indépendance, l’élection ne fait que déresponsabiliser et exposer davantage les peuples à la domination et à l’exploitation des puissances étrangères en complicité avec les élites locales.

«Je voudrais rappeler une vérité admise en philosophie et dans le domaine militaire, celle fondée sur la prévalence du principe de réalité. C’est la réalité du terrain, pour dire comme les militaires, qui commande», a mis en exergue Pr Keïta, déclarant qu’au gré des circonstances, les textes de droit changent, des nouveaux pactes ou contrats sociaux sont signés qui deviennent à leur tour des référentiels de droit.

 Il a précisé que l’histoire du vivre ensemble des hommes est une histoire de négociation ou de dialogue permanent entre le principe de droit et celui de la réalité. Au fait, ce qui est en jeu ici, a conseillé Bakabigny Keïta, c’est l’idée qu’en dernière instance, ce n’est pas le droit qui donne lieu à la politique, mais inversement c’est la politique qui est antérieure au droit. Donc pour la stabilité de la société, il est nécessaire de maintenir un dialogue permanent entre les deux pôles.

Cela consiste à faire prévaloir la légalité sur la légitimité. Or, il est à comprendre que la légitimité est antérieure à la légalité.

Namory KOUYATE

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