«N’gèlè» : Symbole de paix et du bon vivre ensemble

Pour les initiés qui y siégeaient il était interdit de mentir, de voler ou détourner les deniers publics, mais aussi de courir la femme d’autrui. C’était aussi un instrument de régulation de la société

Publié lundi 14 août 2023 à 06:01
«N’gèlè» : Symbole de paix et du bon vivre ensemble

Notre pays, selon les traditions orales, tire sa légendaire réputation de terre d’accueil et d’hospitalité du «N’gèlè» ou mirador dans la langue de Molière. Le N’gèle était non seulement un lieu stratégique pour la communauté, mais aussi un espace d’accueil des étrangers ou de simples passants vers d’autres destinations, c’est-à-dire qui cherchaient à rallier d’autres villages voisins.

Il est admis par de nombreux traditionnalistes que c’est avec l’avènement de l’école française et des religions étrangères que les choses ont pris une autre tournure. Certains manipulateurs ont travaillé au corps nos sages pour délaisser nos traditions au profit de la culture occidentale et islamique. Ce qui a plus ou moins mis en péril le système éducatif traditionnel, le vivre ensemble et les mécanismes de gestion des conflits dans notre pays. Il est surtout bon de préciser que ces aspects étaient inscrits dans les programmes d’initiation concoctés par les sages. 

Pour jauger ce qu’il en reste aujourd’hui, notre équipe de reportage a rencontré l’un des initiés de cette pratique ancestrale. Il s’agit du traditionnaliste et artiste marionnettiste, Yaya Coulibaly. 

Drapé dans une tenue de chasseur, l’artiste a accepté de nous entretenir, dans son atelier à Magnambougou, sur une pratique qui est en voie de disparition. Le rôle du N’gèle dans la société traditionnelle. Yaya Coulibaly exprime à qui veut l’entendre son regret de constater une terrible méconnaissance de nos valeurs par nombre de nos compatriotes. Pour lui, on peut encore revoir la copie et recourir à ces valeurs pour soulager notre société.


«Nous pouvons encore sauver ces valeurs pour soigner les maux qui gangrènent notre société. Je veux parler de la corruption, du vol ou détournement de deniers publics, de l’injustice et bien d’autres vices».  Selon Yaya Coulibaly, le N’guèlé ou «Ngala»,  dans certaines contrées, est le premier siège de rencontre, depuis des lustres dans le Mandé. Tous les dignitaires du village s’y retrouvaient chaque jour pour discuter des affaires de la communauté. C’était le siège des sages et toutes les grandes décisions étaient prises sur le N’guèlé. Et toutes décisions qui en sortaient étaient  appliquées à la lettre dans toutes les familles.

Le marionnettiste souligne simplement que c’était le  haut lieu de serment qui garantissait la grandeur, l’honnêteté, la sagesse. Il est généralement installé sur la place stratégique du village, notamment dans un carrefour où les routes du village se croisent.

 

Centre de formation de l’Homme- Notre interlocuteur tient à lever toute équivoque sur l’importance du N’gèle. «L’esprit de mirador est le seul moyen pour sauver notre société», martèle-t-il. Pour lui, il est clair que le N’gèle est un symbole d’espoir, parce étant uniquement réservé aux hommes d’un certain âge. Les femmes étaient convoquées pour participer à la prise des grandes décisions, mais elles ne siégeaient pas et devraient juste assister pour y être actrices de la mise en œuvre des décisions prises.

C’est le premier siège des sages. Son apparition  remonte depuis le Wagadou voire au-delà. Certains expliquent que c’est depuis que les humains ont commencé à se sédentariser. Il est lié à histoire de la chasse. Une pratique des hommes, depuis des temps. Cela a parfois instauré un lien entre les hommes et les animaux.

Et le N’guèlè était aussi un point stratégique pour le chasseur qui s’y abritait pour mieux guetter ses proies, mais aussi pour se protéger. Pour garantir cette sécurité, il a été élargi dans le village pour assurer la défense et la sécurité de la communauté, la protection de l’environnement et des animaux. Mais aussi comme symbole de justice,  de l’éducation et de la bonne organisation des événements sociaux dans le village.

Le N’guèlè était l’ange gardien des sages du village. Dans l’esprit des hommes, il était interdit, sous l’emprise de sa puissance, le mensonge, vol, les écarts de comportement ou toutes autres actions indignes. C’était l’organe principal de régulation de la communauté, selon le traditionnaliste. Malheureusement, les nouvelles civilisations ont occasionné la perte de nos repères, notamment. 

Yaya Coulibaly sait de quoi il parle en tant qu’initié. Il explique dans la fabrication du mirador on  utilisait des arbres triés sur le volet. Il s’agit du caïcédrat, du «n’guèlé», le «genou» et du rônier. La largeur du N’gèle était composée de «5 fourchettes qui correspondent aux cinq doigts de l’homme». Le pilier central  se pose sur des sacrifices très solides. «Rien n’était fait au hasard, c’était une société gérontocratique bien définie  où, chacun avait un rôle.


Seuls les initiés  avaient le droit de  s’y asseoir dessus», rappelle Coulibaly. Et ceux qui étaient initiés étaient tenus au respect de leur serment, c’est-à-dire celui de ne pas mentir, voler, courir la femme d’autrui… Seul, un homme de caste, généralement un vieux forgeron, était autorisé à s’y asseoir le jour de l’intronisation sur le N’gèle. Ce rituel est répété  tous les 7 ans (puisque le N’gèle est rénové à cette période) en grande pompe puisque.

 

SYMBOLE DE LA PAIX ET DE LA COHÉSION SOCIALE-  Les affaires courantes du village étaient discutées sur ce lieu. C’était la place des armées pour débattre des stratégies et plans pour la défense du village en cas d’agression. Les décisions prises sur ce lieu étaient considérées comme un engagement qui à valeur de serment devant la communauté.


C’est pourquoi, pour donner la valeur à la décision, le chef de famille rappelait toujours qu’elle avait été prise par les sages. S’asseoir sur le mirador était interdit aux impurs. Et les Mandekan étaient liés à leur dignité. Mais aussi au serment de l’animal totémique qui est  extrêmement important dans le Mandé. Le spécialiste des arts et de la culture se dit  initier pour pouvoir  parler de tous ces aspects de notre riche culture.

Les sages avaient un langage clair. Ils apprenaient sur le mirador à tout dire clairement sans prendre de gants lors des rencontres. Au-delà de son caractère éducatif, le N’gèlé est un instrument juridique parce que permettant aux sages qui y siégeaient de trancher lorsqu’il y avait un conflit au sein de la communauté ou en cas de mésentente  entre les citoyens. Il dispose d’un pouvoir de juridiction pour sanctionner le fautif et jouait également le rôle de maintien d’ordre dans la communauté et veillait sur le village contre toutes attaques. Le sage souhaite enfin la reconnaissance des mérites qui a toujours fait la beauté du Mandé.

Amadou SOW

Lire aussi : #Mali : Fatoumata Diawara devient l’artiste africaine francophone la plus écoutée au monde

Un record historique pour la musique africaine francophone. Notre compatriote Fatoumata Diawara vient de franchir la barre des 407 millions de streams, faisant d’elle l’artiste féminine francophone africaine la plus écoutée au monde.

Lire aussi : Précarité des Médias : Les déviations et insuffisances prennent le dessus

La perception des frais de déplacement ou motivation ou de façon plus prosaïque «per diem», le manque de formation adéquate, la baisse de niveau des journalistes et le manque de moyens financiers des structures médiatiques nuisent fatalement à l’image de la presse malienne.

Lire aussi : Région de Kidal : L'armée poursuit la traque des Groupes armés terroristes

Dans le cadre des opérations de surveillance aérienne et sur la base de renseignements précis, les Forces armées maliennes ( FAMa ) ont pris en filature et traité un véhicule Pick-up, ce jeudi 18 septembre, à Yenchechi dans la Région de Kidal.

Lire aussi : Enfants et Médias : L’Unicef et l’Amap forment 17 enfants journalistes

Dans le cadre du projet «Enfants et médias», porté conjointement par l’Unicef et l’Agence malienne de presse et de publicité (Amap), l’Unicef a lancé, hier à son siège, la cérémonie d’investiture du Réseau des enfants journalistes..

Lire aussi : Koulikoro : L’héritage culturel au cœur de la semaine nationale de la réconciliation

Dans la salle de conférence du gouvernorat, le directeur de cabinet du gouverneur Mohammar A. Haïdara a procédé mardi dernier au lancement officiel de la 4è édition de la Semaine nationale de la réconciliation (Senare)..

Lire aussi : Gao : C’est parti pour la Semaine régionale de la biennale

En prélude de la Biennale artistique et culturelle Tombouctou 2025, la Semaine régionale de Gao ou phase régionale a démarré, lundi au Stade Kassé Keïta, sous la présidence du directeur de cabinet du gouverneur de la 7è circonscription administrative du Mali, Mamadou Diakité..

Les articles de l'auteur

Association SO-DEW : Un mini Opéra des enfants

L’Association So-Dew a présenté, samedi dernier dans les locaux de Blonba un spectacle inédit et créatif intitulé : «Le Mali dans le temps». C’était devant un public de professionnels. Cette prestation de moins de 60 minutes a plongé le public dans un univers de la danse traditionnelle, du chant, des paroles et des rythmes. Le tout dans un décor magnifique et sous une lumière dominée par le noir..

Par Amadou SOW


Publié mardi 09 septembre 2025 à 08:24

Festival international Triangle du Balafon : Un nouveau souffle de vie

La 9è édition de ce rendez-vous du balafon, un instrument mythique propre à certaines communautés africaines, se tiendra sous le thème : «Le Balafon, symbole de la transformation sociale dans un nouvel espace souverain». Rendez-vous est pris du 9 au 11 octobre prochains dans la capitale du Kénédougou.

Par Amadou SOW


Publié lundi 01 septembre 2025 à 08:49

Préparatifs de la Biennale artistique et culturelle : La Commission d’organisation fait l’inventaire

La Commission nationale d’organisation (CNO) de la Biennale artistique et culturelle de Tombouctou 2025 s’est réunie, vendredi dernier dans la salle de conférence du ministère de l’Artisanat, de la Culture, de l’Industrie hôtelière et du Tourisme, pour faire le point des préparatifs de la prochaine Biennale prévue en décembre dans la Cité des 333 Saints..

Par Amadou SOW


Publié mardi 26 août 2025 à 09:12

Le Pacte colonial : Une série télévisuelle qui dénonce les 11 accords coloniaux

Ce feuilleton comporte 33 épisodes dont 11 en bamanakan, autant en haoussa et en mooré. Une version du film a été remise à chaque pays de la Confédération AES.

Par Amadou SOW


Publié lundi 25 août 2025 à 08:49

Photographie : L’Amap et la Map consolident leur collaboration

En marge de la célébration de la Journée mondiale de la photographie, l’Agence malienne de presse et de publicité (Amap) et la Maison africaine de la Photographie (Map) ont décidé de cheminer ensemble bras dessus, bras dessous. Les deux structures ont signé, hier au siège de la Map, une convention de partenariat..

Par Amadou SOW


Publié mercredi 20 août 2025 à 10:09

Journée mondiale de la photographie : Des clichés illustrent le Mali kura

Dans le cadre de la célébration de la journée mondiale de la photographie, le 19 aout, la Maison africaine de la photographie (Map) a organisé une exposition nationale à la suite d’un appel à candidatures intitulé : «Yèrèrya sira» sous le thème : «Nos identités comptent»..

Par Amadou SOW


Publié mercredi 20 août 2025 à 10:05

Caravane d’Alphadi pour la paix : Une belle initiative de consolidation du vivre ensemble au Sahel

Exposition des artistes plasticiens, défilé de mode, prestation d’artistes de musique traditionnelle, démonstration des maques dogons, défilé de chameaux et récompense des meilleurs stylistes. Tel était le menu de la Caravane d’Alphadi pour la paix qui s’est déroulée du 15 au 16 aout dernier au Musée national du Mali..

Par Amadou SOW


Publié mardi 19 août 2025 à 08:52

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner