Perturbation des réseaux téléphoniques : En cause les «boosters» et la vétusté des installations

Au niveau du marché Dabanani, les utilisateurs peinent à recevoir les signaux

Publié mercredi 12 janvier 2022 à 07:04
Perturbation des réseaux téléphoniques : En cause les «boosters» et la vétusté des installations

Ce désagrément est de plus en plus mal perçu pour les Maliens. Les opérateurs téléphoniques peinent à y trouver une solution

 

Derrière la baie vitrée de son magasin de vente d’appareils électroniques, Alassane, commerçant au Grand marché de Bamako, peste contre la mauvaise qualité des réseaux de téléphonie mobile. Selon lui, depuis trois ans, le problème persiste et les opérateurs n’arrivent pas à trouver une solution. Ce qui le pousse, comme d’autres commerçants, à installer un appareil booster de réseau lui permettant d’effectuer ses nombreuses communications dans la journée. «Il n’y a pas de réseau dans le marché. Tous les commerçants s’en plaignent. Si on était satisfait de sa qualité, on n’aurait jamais eu besoin de chercher d’autres appareils pour améliorer la qualité de la communication», explique le commerçant, comme pour justifier son recours à ces outils dont l’emploi est pourtant interdit.

La qualité du réseau est déplorée par de nombreux commerçants qui évoquent un impact sur leurs affaires. «Le problème de réseau au marché nous préoccupe réellement. Nous faisons plusieurs communications par jour avec nos clients et nous sommes permanemment confrontés au problème de réseau. Même quand on débranche nos appareils boosters, la situation est identique», se plaint un autre commerçant assis derrière le comptoir de sa boutique de vente de basins.

La perturbation des réseaux téléphoniques, même si elle est particulièrement ressentie au niveau du Grand marché de Bamako, est fréquente dans plusieurs localités de notre pays. Dans les régions du Nord et du Centre, compte tenu de la situation sécuritaire, les raisons invoquées par les opérateurs sont souvent le sabotage des installations par les groupes armés. «Chaque jour, en moyenne, deux à trois sites sont sabotés dans les zones d’insécurité», révèle Issoufi Kouma Maïga,  directeur réseau et infrastructures de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications, des TIC et des Postes (AMRTP).

Mais, comment expliquer le problème persistant de réseaux à Bamako ?  En réponse, Issoufi Kouma Maïga révèle que l’AMRTP, en tant qu’autorité de régulation, mène de grandes campagnes de mesures sur toute l’étendue du territoire. «La dernière campagne, menée en 2020, a démontré qu’il y a des efforts à faire en termes de services dans certaines localités comme Bamako et certaines grandes villes», explique-t-il, ajoutant que les difficultés concernant la qualité du réseau à Bamako sont surtout dues aux équipements de booster du réseau, désormais fréquents dans le marché. Ceux-ci, explique le technicien, brouillent à travers des interférences les réseaux des opérateurs de téléphonie.

L’installation et l’utilisation d’appareils de télécommunication par des particuliers sont interdites, selon l’AMRTP. «Tout équipement de télécommunication qui entre au Mali, doit faire l’objet d’homologation par l’Autorité de régulation. Ce n’est pas le cas pour ces équipements qui sont présents sur le marché et perturbent les réseaux téléphoniques, à en croire Issoufi Kouma Maïga. C’est pourquoi, sa structure a décidé de prendre le problème à bras le corps.

«Nous sommes entrés en contact avec les détenteurs de boosters qui, en majorité, sont des commerçants. Ils justifient l’usage des boosters par la mauvaise qualité des réseaux. Il s’agissait de leur expliquer que ces appareils causent plus de nuisance aux autres usagers que des avantages qu’ils leur apportent», indique le cadre de l’AMRTP, précisant que les marchés Dabanani et Dibida sur la rive gauche et les Halles de Bamako et d’autres marchés secondaires sur la rive droite,  sont les plus touchés par le phénomène.

 

AMPLIFICATION DES SIGNAUX- Les boosters sont des équipements amplificateurs du signal utilisé par les réseaux GSM qui sont sur la bande 900mhz et 1800mhz. Quand le signal est amplifié, il émet sur les bandes de fréquence utilisées par les opérateurs de télécommunication en créant des perturbations par des interférences, explique Issoufa Kouma Maïga. L’impact de ces appareils sur le réseau mobile est confirmé par le chef de service pilotage de l’optimisation à Orange-Mali. Pour Amadou Niang, les boosters encore appelés répéteurs sont réservés à l’usage exclusif des opérateurs de téléphonie. Ils permettent d’amplifier les signaux au besoin, dans des zones où la couverture peut être problématique.

C’est fin 2019 et début 2020 que la société Orange Mali a constaté les interférences de signaux au niveau des marchés de Bamako. «Nous avons constaté qu’au Grand marché des bâtiments ont poussé simultanément, ce qui a occasionné un problème de réception des signaux à l’intérieur de ces bâtiments», explique le technicien Niang. D’où l’installation des boosters de réseau par les occupants. Pour Amadou Niang, les commerçants auraient mieux fait d’approcher les opérateurs au lieu de chercher une solution au problème eux-mêmes.

En effet, les fréquences sur lesquelles les personnes doivent recevoir des appels sont brouillées. Cela provoque des notifications d’appels et des appels manqués. En plus, la communication peut être de mauvaise qualité quand on reçoit des appels ou, on a du mal à joindre d’autres personnes. Du côté d’Internet, le technicien d’Orange Mali ajoute que les effets des perturbations peuvent se manifester par la lenteur de la connexion. Selon lui, des investigations ont permis de savoir que le coût des installations est estimé entre 75.000 et 200.000 Fcfa. Ces fameux boosters sont importés et installés par des particuliers chez eux sans aucune autorisation, déplore-t-on du coté des opérateurs.

Face à la situation, des actions sont en cours pour trouver des solutions, indique-t-on à l’AMRTP. Des rencontres avec les associations de commerçants et des campagnes de communication ont été menées pour attirer l’attention sur le problème. La police et les douanes sont désormais impliquées pour endiguer le fléau, indique Issoufi Kouma Maïga. Des échantillons des appareils ont été montrés à la douane pour arrêter l’importation. Au cours de ce mois de janvier 2022, des opérations de démantèlement des installations seront menées, afin d’améliorer la qualité du réseau téléphonique.

Du côté des opérateurs, les mesures devront également suivre pour améliorer la qualité du réseau, révèle Amadou Niang. «Si les commerçants prennent la décision de démanteler les installations, nous leur garantissons qu’ils pourront bien communiquer sur notre réseau avec les autres services comme Internet, promet Orange-Mali. La société va installer 15 nouvelles antennes au niveau du marché pour mieux couvrir la zone».

Les perturbations sont ressenties surtout dans la zone environnante d’installation des équipements. Quelqu’un qui est dans la zone perturbée peut ne pas recevoir d’appel ou ne pas en faire», explique Issoufi Kouma Maïga. Bien que les boosters sont des facteurs perturbants, leur effet est limité et ne peut aller au-delà d’un certain périmètre, signale Amadou Niang.

 L’INSUFFISANCE D’INVESTISSEMENT- Selon d’autres spécialistes, ces installations anarchiques d’équipements ne sont qu’en partie, la cause des perturbations du réseau téléphonique à Bamako. En 2021, le cabinet privé Business Managing et Développement (BND) a mené une étude sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur les attentes des consommateurs. Une étude motivée par la bonne santé financière des opérateurs de téléphonie malgré la pandémie qui a mis plusieurs secteurs à terre. Les trois opérateurs ont enregistré un chiffre d’affaires en croissance de (+1%) environ et représentant un montant de 518,5 milliards de Fcfa en 2020 contre 515 milliards de Fcfa en 2019, révèle l’étude.

Mohamed Niaré, un des auteurs de l’étude, estime que les problèmes de réseaux sont imputables à deux facteurs : l’étendue du territoire et la vétusté des installations.

Dr Adama Traoré est le président du Réseau malien des consommateurs de téléphonie mobile (Remacotem). Selon lui,  la mauvaise qualité de service des opérateurs est une constance d’une manière générale. Il estime que les opérateurs n’investissent plus dans les installations. En plein cœur du Grand marché de Bamako, on ne peut pas échanger par téléphone, faute d’infrastructures.

Quand les opérateurs lancent des campagnes de promotion sur leurs produits, le réseau est tout de suite saturé. On n’arrive plus à joindre ses interlocuteurs. Les opérateurs sont sur un terrain conquis ici. Ils ne sont pas interpellés, encore moins inquiétés, regrette le président du Remacotem. Selon lui, les problèmes ne se limitent pas seulement au téléphone, ils touchent également les datas qu’il juge excessivement chers malgré les problèmes de connexion.

Mohamed TOURE

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