Les passagers profitent de la pause pour prier et se restaurer
Un
jeudi matin du mois d’août à la gare routière de Sogoniko. À 7 heures, les
locaux ne sont pas encore achalandés. Par ses seules dimensions, son volume et
son emprise spatiale, cette gare routière est un «objet urbain» important qui
marque le paysage et les pratiques quotidiennes de tout un secteur. Le
charivari s’y installe au fur et à mesure que les passagers, harcelés par les
rabatteurs des compagnies de transport, arrivent dans la cour. Après l’achat
des tickets au comptoir de l’une des compagnies, on embarque pour un voyage qui
prendra toute la journée.
La
distance entre Bamako et Abidjan fait plus de 1100 km. Pour l’affronter, des
passagers se sont ravitaillés en diverses denrées dont la plupart sont
fait-maison. Cette précaution les met à l’abri de risques d’intoxication liés à
la consommation d’aliments généralement jugés malsains. Le bus arrive à Kacoli,
dernier village malien avant de rentrer en territoire ivoirien, à 14 heures.
Passer le poste de contrôle qui s’y trouve est, selon les habitués de ce
trajet, une «épreuve». À notre arrivée, de nombreux bus attendaient
impatiemment leurs passagers qui passaient le contrôle.
Déjà,
une peur bleue commence à s’installer. «C’est la partie du voyage qui me fait
peur», lâche, angoissée, une dame qui voyage avec sa fille d’environ un an. La
bonne dame n’a pas eu le temps de rechercher le document prouvant que le père
de l’enfant l’autorise à voyager. Pour d’autres passagers, c’est la validité
des pièces d’identité qui est en cause. À la sortie du bus, deux agents en
tenue militaire vérifient les pièces. Notre bonne dame et plusieurs autres
passagers sont dirigés vers un banc, non loin des installations militaires. Ils
sont ensuite appelés, un à un, dans une petite maison faisant office de bureau
pour les agents en poste.
Là,
ce n’est pas autorisé de passer des appels ni de s’arrêter pour regarder ce que
l’autre peut subir. Impossible d’en sortir sans y laisser quelques billets.
C’est une règle non écrite. Ceux qui ont une carte d’identité ivoirienne ou qui
n’ont aucune pièce d’identité payent 2000 Fcfa. Idem pour chaque enfant qui
voyage sans acte de naissance et certificat de voyage d’autorisation du père.
Seuls les Maliens ayant une pièce d’identité valide passent le poste sans rien
débourser. Ils profitent d’ailleurs de ce temps pour prier et observer une
pause hygiénique.
Mais
ces Maliens savent qu’ils vont obligatoirement mettre la main à la poche dès
qu’ils auront franchi la frontière. Juste après Kacoli, certains descendent du
bus pour emprunter des motos qui les aident à contourner le poste de contrôle
ivoirien. Là, les Maliens subissent une sorte de vendetta. Seuls les passagers disposant
de pièces d’identification ivoirienne et de carte de vaccination ne passent pas
à la caisse.
Tous ceux qui ont une carte d’identité malienne, valide ou pas, payent la somme de 2000 Fcfa. En plus, le passager doit débourser 8000 Fcfa quand il n’a pas de carte de vaccination. Les enfants n’ayant pas leur acte de naissance et certificat de voyage d’autorisation du père, connaissent le même sort.
ÉCHAPPER
AUX CONTRÔLES- Très souvent, les gens qui empruntent les motos taxi échappent
aux contrôles médical et physique. Raison pour laquelle, ce moyen est très
utilisé. «Il y a des motos. Qui n’a pas de vaccination ? Ce n’est que 2000 Fcfa
pour te faire échapper aux contrôles de vaccination, et éviter de payer 8000
Fcfa», nous lance un conducteur de moto.
Au cours de nos échanges, il nous
confiera ceci : «C’est notre gagne-pain ici à la frontière. Par jour, je
peux économiser plus de 10.000 Fcfa. Mais il y a des risques». La mission du
taximan est d’amener le client un peu loin du poste de contrôle de Nigouni,
premier village ivoirien. Ce poste est à environ 8 km de Tengrela, la première
ville ivoirienne après le Mali.
Cependant,
certains passagers préfèrent rester dans le bus et se faire vacciner. «C’est
fait pour notre bien, je le ferai même si cela me coûte. C’est mieux que de
fuir à chaque fois», murmure une jeune fille qui quitte le pays pour la
première fois. Tout au long du trajet, l’on tombera sur d’autres postes.
Parfois, ce sont quelques agents qui barrent la route pour racketter. à chaque
fois, l’ennui s’installe aussitôt chez les détenteurs de la nationalité
malienne. Il faut obligatoire payer 2000 Fcfa. Souvent, certains bagages sont
descendus par les douaniers en raison de leurs contenus et leurs propriétaires
doivent impérativement payer. Les Ivoiriens, eux, ne sont jamais inquiétés.
Nous
arrivons bientôt au poste de contrôle des bagages. Les commerçants savent ce
que cela signifie. «Nous allons cotiser chacun 2000 Fcfa pour ceux qui ont des
bagages dans les coffres et 1000 Fcfa pour ceux qui n’ont qu’une valise»,
explique une dame. Un chuchotement se fait vite entendre : «Je n’ai qu’une
valise contenant mes habits. Ce sont les gens qui ont des marchandises qui
doivent payer», dit un passager.
«Après tout, c’est le boulot de la douane de
contrôler les véhicules. Vous nous prenez ici pour des voleurs. Si on ne paie
pas, ils vont nous demander de faire descendre tous les bagages. Nous allons
descendre les valises de ceux qui ne paieront pas et nous continuerons la route
sans eux», lance un apprenti-chauffeur, visiblement fâché. Là aussi, quasiment
tous les propriétaires de bagages sont abusés.
Après
Tengrela, en profondeur des terres ivoiriennes, une longue route s’étale devant
les voyageurs. Une route carrossable, agréable à fréquenter de par son beau paysage.
La Côte d’Ivoire dispose de la mer généreuse, des forêts abondantes et aussi
d’un sous-sol qui regorge de minerais précieux. Des forêts s’étendent à perte
de vue après chaque village ou ville.
Le
voyage entre Bamako et Abidjan par bus, est sans doute, plein de découvertes
même si les passagers sont visiblement fatigués de s’asseoir à cause des
tracasseries sur un trajet qui ne dépasse pas en temps normal plus de 24 heures
de route. Sous une fine pluie, on arrive à Yamoussokro où se trouve la Basilique
«notre Dame de la Paix», une impressionnante tour de par sa taille et la
beauté.
C’est vers 14 heures, le lendemain de notre départ de Bamako, que la ville d’Abidjan se montre enfin. La découverte de la ville est un soulagement. Le passager retrouve une ambiance de ville coquette avec ses embouteillages, ses taxis peints aux couleurs bleu et rouge, les wôrô wôrô (transport en commun) et surtout le tintamarre des klaxons. Abidjan est une ville en pleine croissance où des buildings poussent comme des champignons. Mais l’on y retrouve aussi des bidonvilles, ces quartiers avec des habitats faits avec des matériaux de récupération et dans lesquels des personnes vivent dans des conditions précaires.
Fatoumata Mory SIDIBE
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